Moi, capitaine
de Matteo Garrone
Avec Seydou Sarr, Moustapha Fall, Issaka Sawadogo
Film sorti le 3 janvier 2024
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
Le vécu des migrants
Se fondant sur des entretiens avec de nombreux jeunes migrants, Matteo Garrone, dans son film Moi, capitaine, ne raconte pas. Avec réalisme, sans pathos, il plonge le spectateur dans les expériences de deux adolescents sénégalais, embrassant leur point de vue, leurs rêves et leurs désillusions. On n’est pas dans le témoignage mais dans le vécu.
Des héros des temps modernes
Malgré les avertissements, les mises en garde circonstanciées de leur entourage, Seydou et Moussa, deux cousins et amis, décident de partir pour une Europe rêvée. Ils quittent leur famille aimée, leur quotidien sans richesse mais heureux. Mais très vite, le rêve devient cauchemar lors d’un périple épique : une longue et épuisante marche dans un désert torride, la confrontation avec la barbare mafia libyenne, ses geôles où sévissent les pires violences, puis la traversée sur un vieux bateau. Contraint de prendre la barre de cette embarcation de fortune surpeuplée, l’adolescent devient un homme responsable faisant preuve d’humanisme, de maturité, de force de caractère et d’esprit critique. Lors de son appel téléphonique aux gardes côtes, il comprend très vite que ceux-ci, malgré leurs belles paroles, n’interviendront pas. Il s’engage alors à ce qu’aucune personne présente sur son bateau ne meurt. Il les mène lui-même, sans aide, à destination. Son humanité s’oppose à leur inhumanité.
Une réussite cinématographique et humaniste
Matteo Garrone ne se contente pas de donner à voir une odyssée infernale. Dans une mise en scène sobre, il montre aussi, ce qui est novateur et original, l’antériorité du voyage : la vie des adolescents dans leur famille et leur pays, leur culture, leurs traditions. Puis il plonge le spectateur dans un réalisme dépourvu de tout voyeurisme, le tricotant sans s’appesantir avec des scènes de torture insoutenables et avec, par deux fois, des envolées fantastiques et poétiques, lors de rêves de Seydou.
Moi, capitaine est une réussite cinématographique et humaniste. Il prouve, si c’est nécessaire pour certains, que les migrants ne sont pas que des chiffres, mais des humains avec un passé, un présent, des sentiments, des souffrances, des rêves.
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