Midi noir
Pierre Valandrin
Editions Noire/La Différence (2015)
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
A partir d’un fait divers ; un ouvrier agricole Albert Malfione s’accuse du meurtre de Moustafa, un Marocain dont on ne retrouve pas le cadavre ; Patrick Valandrin, dans Midi noir, embarque le lecteur dans une enquête policière complexe aux nombreux rebondissements déroutants révélateurs de la rouerie de nombre d’individus.
Cette sombre histoire est l’occasion pour le narrateur de sonder l’univers contrasté du Sud de la France aussi bien en ce qui concerne le climat que les êtres humains, les réalités sociales et politiques. Au paysage de rêve ensoleillé et lumineux, donnant l’impression « d’un monde beau, paisible, parfait », « pittoresque comme une carte postale » s’oppose une réalité au « climat si particulier qu’(il) rend (…) fou, agressif et imprévisible ». La température suffocante, « le soleil de plomb », le souffle incessant et irritant du mistral perturbent Jean-Yves Grenier, surnommé le Jygue, alsacien d’origine, « nommé commissaire de police en Avignon ». La mutation, causée par une plongée dans l’alcool, de cet anti-héros atteint de la maladie de Paget, « une déformation osseuse », permet au lecteur de découvrir l’univers œnologique du midi méditerranéen à la faveur de descriptions pittoresques de paysages viticoles et de subtiles analyses de grands crus : « Le vin blanc de Piotr Lemoine brillait dans les verres. Au nez, un fin parfum d’agrume laissait soupçonner une bonne minéralité. Des notes de fleurs blanches et de pêche ajoutaient de la complexité au vin qui en bouche montrait une excellente longueur ». Elle permet aussi de découvrir l’ensemble des personnes qui gravitent dans ce microcosme, des plus humbles comme Maryse aux soi-disant élites de la société comme Emmanuel de Cluny, maire de Barenton-les-Vignes ou Maître Colonnel, « notaire des vignerons comme son père et son grand-père avant lui, (…) connu pour son extrême discrétion ». Misère et richesse se côtoient. La misère sinistre, répugnante (« (…) endroit d’un dénuement infini. La vaisselle était couverte d’une croûte de saleté, les draps du lit au fond n’avaient pas été changés depuis une éternité. En guise de fenêtre, un panneau en plastique opaque, à moitié ouvert maintenu par une tige de fer scotchée contre le rebord, découvrait des cordes à linge. Non loin pourrissaient d’autres caravanes, plus délabrées les unes que les autres ») pousse les plus démunis à œuvrer pour des privilégiés corrompus et à voter pour le parti de la haine.
Le narrateur traite de différents problèmes sociaux et effectue une critique lucide de la société contemporaine montrant que l’on se heurte à de trompeuses apparences dans le Midi où les repères s’effondrent : « … rien n’est carré dans le Midi, rien n’est jamais blanc ou noir, les bons et les méchants ne sont pas ceux qu’on croit ». Il décrit les côtés troubles des êtres humains plongés dans la compromission, guidés par l’appât du gain et de la renommée. L’écrivain brosse des portraits rapides mais précis des démunis, rebuts de la société, à la triste et misérable vie, faite de frustrations, de notables superficiels se cachant sous un vernis de respectabilité. Les allusions à des personnalités politiques contemporaines sont transparentes. La société, miroir de la nôtre, est corrompue, mue par le pouvoir de l’argent qui condamne les plus faibles à la violence. Le narrateur évoque aussi les problèmes de pollution, l’urbanisme (« Rien ne semblait pouvoir endiguer ces zones où les lotissements s’aggloméraient, transformant en abjection une nature intacte comme la maladie des cellules saines en cancer »), la vente sans scrupules de terrains non constructibles, zones inondables dangereuses pour les acquéreurs, dupes de politiciens véreux. Il évoque l’opposition entre les écologistes et les pollueurs, les personnes âgées abandonnées à leur triste solitude et vouées à une mort indigne, (« Dans les banlieues d’Avignon où les immeubles mal isolés ressemblaient à des cages à lapins, on décomptait une dizaine de décès – des vieillards, qui vivaient seuls, oubliés »). Il traite du féminisme lorsqu’il évoque la magnifique assistante du commissaire, Marjolaine Pamier, qui revendique le droit d’être belle, féminine, cultivée et intelligente sans être la proie du mépris, de l’avidité et de la bêtise des machos. Implicitement, sans faire acte militant, par petites touches, Midi noir porte témoignage de son époque et dit l’injustice. Or dire, c’est faire accéder à la conscience de l’Autre, c’est le faire réfléchir.
Doté d’une écriture limpide, Midi noir, facile et plaisant à lire, saura séduire les amateurs de romans policiers concernés par les problèmes sociaux, politiques et humains. Il satisfera le désir d’évasion du lecteur tout en lui permettant d’analyser la société dans laquelle il vit.
0 commentaires