Méditerranée
Adresse au président de la République
Nicolas Sarkosy
Béatrice Patrie
Emmanuel Espanol
Actes Sud, 2008
(par Elias Abou-Mansour)
La Méditerranée reflète un passé riche et annonce un avenir meilleur.
Son espace est un creuset des civilisations. Le terme « Méditerranée » étant chargé d’histoire, n’est-ce pas pour cette raison que les co-auteurs, Béatrice Patrie et Emmanuel Espanol ont intitulé leur oeuvre : MEDITERRANEE ? Avant de commencer leur analyse, ils ont judicieusement cerné le contexte de ce thème. En 1995, le partenariat euro-méditerranéen a été lancé. C’est le « Processus de Barcelone ». Cependant, ce dernier n’a pas réalisé les objectifs escomptés comme la paix, le dialogue des civilisations et le développement économique, social et humain dans le bassin méditerranéen. « La déclaration de Barcelone vise à établir un partenariat global euro-méditerranéen afin de faire de la Méditerranée un espace commun de paix, de stabilité et de prospérité, au moyen du dialogue politique et de la sécurité, d’un partenariat économique et financier et d’un partenariat social, culturel et humain ». C’est dans ce contexte que le Président de la République, Nicolas Sarkozy, et les Premiers ministres, italien et espagnol, Romano Prodi et José Luis Zapatero, ont lancé l’appel de Rome le 20 décembre 2007 afin de créer l’Union méditerranéenne. En fait, c’est un partenariat qui s’est organisé en trois axes : politique, culturel et économique dont l’instauration, d’ici 2010, d’une zone de libre-échange euro-méditerranéenne. MEDITERRANEE est donc, une « adresse au Président de la République : Nicolas Sarkozy ».
Les co-auteurs, Béatrice Patrie et Emmanuel Espanol, prônent une harmonisation entre le Sud et le Nord de la Méditerranée, à l’instar de l’Europe occidentale et orientale. De même, ils aspirent à la création d’une région euro-méditerranéenne qui fait face à la mondialisation. C’est pour cette raison qu’ils estiment que la Turquie doit intégrer l’Europe : « C’est à ce titre que les pays du pourtour méditerranéen, comme ceux des confins de l’Est européen, ont vocation à s’intégrer dans un ensemble régional euro-méditerranéen, apte à peser dans les équilibres mondiaux ». L’adhésion de la Turquie à l’Europe, confère à cette dernière un signe de maturité, la transforme en une Europe multiculturelle : « Elle exprimerait le refus d’une Europe citadelle mythifiée comme un club chrétien, l’acceptation de vivre dans un ensemble politique multiculturel et plurireligieux, un rejet catégorique de la thèse de l’affrontement entre une civilisation chrétienne et une civilisation musulmane ». Bref, c’est le rejet de la thèse du choc de civilisations. En outre, l’Europe deviendrait une grande puissance stratégique, énergétique qui rayonnerait jusqu’au Caucase et rivaliserait avec les Etats-Unis : « L’adhésion de la Turquie élargirait le champ stratégique européen au Caucase et à l’ensemble du Machreq, faisant de l’Union une puissance mondiale ». Ainsi, les auteurs critiquent le Président Sarkozy pour avoir refusé l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Or, se demandent les co auteurs, l’Union méditerranéenne n’est-elle pas un dérivatif de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne ? Les chances s’amenuisent pour l’instauration de l’Euro-méditerranée. Selon les auteurs, l’Europe accorde une prédilection pour Israël. Par conséquent, un sentiment de frustration et d’incompréhension est omniprésent chez les Arabes. De surcroît, le conflit israëlo-arabe et le passé colonial de l’Europe immobilisent les objectifs de Barcelone. En effet, cette guerre est une matrice d’insécurité qui prive la région d’investissements et de développement. En outre, le passé colonial entre l’Europe et le Maghreb pèse profondément dans la mémoire collective des masses arabes : « Ainsi, la colonisation de la rive sud laisse des blessures profondes qui se cicatrisent d’autant moins que les anciens colonisateurs, la France au premier rang d’entre eux, répugnent à revisiter leur histoire et à faire les gestes symboliques indispensables à la refondation d’une relation fraternelle entre des peuples et des Etats pourtant si liés ». Tous ces facteurs sont des obstacles majeurs à la réalisation de l’Euro-méditerranée.
Les Co-auteurs interpellent le Président de la République sur l’Union de la Méditerrénée. Ils lui reprochent son discours incantatoire, son lyrisme et l’imprécision de son projet : « Aucune de vos déclarations n’a véritablement permis d’en définir les contours exacts ». En outre, ils stigmatisent le balbutiement et le cheminement de ce projet. Ils dénoncent l’appropriation de l’Euro-méditerranée : « A l’époque, encore récente, où vous n’aviez pas mis la Méditerranée au goût du jour, des centaines d’universitaires, de chercheurs, d’économistes, de politologues, travaillaient dans un isolement absolu et le désintérêt de tous pour faire vivre l’Euro-méditerranée ».
Béatrice Patrie et Emmanuel Espanol émaillent leur adresse au Président, d’allusions et de clins d’oeil. Ils formulent un langage enjoué, souvent teinté de sarcasme. Ainsi, le lecteur lit agréablement leur texte. Le métalangage est loin d’être aride. Le style ne sombre pas dans le journalisme simpliste. Le sérieux se joint à l’agréable. MEDITERRANEE cerne tous les thèmes cruciaux, les crises pesant sur le Proche-Orient comme la Palestine, la guerre du Liban, la question Kurde, l’Irak, la Syrie, le nucléaire iranien, le génocide arménien, Chypre.
MEDITERRANEE aborde tous les défis qui se présentent à l’Europe : l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, l’Union de la méditerranée, avec clarté et pertinence. MEDITERRANEE est une lumière dans les méandres obscurs de son histoire.
En outre, les co-auteurs manifestent une connaissance fine et profonde du Proche-Orient. Ils sondent la mémoire collective des masses arabes, expriment leur soif, leur aspiration à une paix juste et globale au Proche-Orient, bref, à l’application des résolutions de l’ONU. Ils traduisent leur attachement immuable au développement économique, social et humain.
Ils prouvent que les Arabes ne sont pas des terroristes : « (…) la grande majorité des opinions publiques arabes aspire au développement économique et social, plus qu’à un supposé djihad contre l’ennemi sioniste ». En effet, les Européens méconnaissent le Proche-Orient qui est un monde complexe et enchevêtré. Il est, pour les Occidentaux, anxiogène. La peur alimente les fantasmes comme « l’islamisme va-t-il submerger la rive sud de la Méditerranée ? » « cette menace alimente toutes les peurs européennes et sert souvent de justification aux politiques internationales de maintien d’une sécurité prétendument menacée… ». Le public occidental ignore presque totalement le Machreq (les pays du Levant). Sait-il que le monde arabe est multiple, que l’Eglise orientale est fortement perméable à l’islam ? Est-il conscient que l’islam arabe (les Alaouites, les Druzes, les Chiites, les écoles sunnites…) est tolérant ? : « … les Alévites, les Druzes et les Alaouites forment des entités culturelles éclairées et imperméables aux thèses islamistes les plus radicales. ». Cette mosaïque religieuse enrichit la coexistence, la liberté de culte et la tolérance. C’est un ferment de démocratie. Le Liban est un exemple de démocratie consensuelle multiconfessionnelle. Bien qu’elle soit immature, elle reste un message de paix et de vie commune. Lorsqu’au Liban le son du clocher synchronise avec l’appel du muezzin à la prière, il embaume les blessures du passé.
Les co-auteurs dissipent et désacralisent la peur des Occidentaux. Ils se soucient de briser les malentendus entre la rive sud de la méditerranée et l’Europe. Ils bousculent les clichés et bouleversent les stéréotypes. Méditerranée est un livre d’histoire richement documenté. C’est une référence, une mine d’informations sur la Méditerranée. Cet ouvrage se lit avec énormément de plaisir.
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