Sélectionner une page

Marie de toutes les passions ou une nouvelle comédie humaine

23/07/2023 | Livres | 0 commentaires

Marie de toutes les passions ou une nouvelle comédie humaine
Eliane Kroukopf
Editions les 3 Colonnes (2022)

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

Marie de toutes les passions ou une nouvelle comédie humaine. Eliane Kroukopf 
 Un clin d’oeil à Balzac

Marie de toutes les passions ou une nouvelle comédie humaine d’Eliane Kroukopf est un clin d’oeil à Balzac : deux visions tout à la fois proches et différentes. Les deux écrivains peignent  avec réalisme  et précision  leur société, leurs personnages,  mettant en relief la complexité humaine. Mais alors que la Comédie humaine de Balzac est souvent colorée de pessimisme, celle d’Eliane Kroukopf est empreinte d’optimisme et de confiance en la vie avec Marie d’Hautencourt, l’héroÏne principale, jeune psychologue dynamique,  « au caractère fantasque »,  qui ne s’est jamais « pliée aux contraintes de son rang social », « emportée par (un) enthousiasme légendaire »,  désireuse « de sauver le monde », portée par  des  projets  ambitieux et  humanistes.

Des projets humanistes

Marie a quitté cinq ans plus tôt le château de ses ancêtres situé à Soucy-lès-Nobles en Bourgogne  pour fuir Tristan son frère vénal, affairiste, coléreux et arrogant et son père corseté dans les traditions. Elle  retourne désormais dans le pays de son enfance  pour s’occuper  de ce dernier victime d’une crise cardiaque  l’ayant  beaucoup diminué. Elle a aussi des  projets qui vont bouleverser la vie du  village et de ses habitants.

Marie, qui se consacre à  « des adolescents désabusés et perdus », « enfants à problèmes, délinquants ou handicapés« ,   décide de transformer une partie de ses terres en un « cadre idyllique », « un refuge pour les jeunes »   où ceux-ci pourront s’épanouir, retrouver le goût  et le sens de la vie. Ce qui va enthousiasmer les uns,  choque et déplaît fortement aux autres,  entraînant de l’acrimonie d’autant plus que  les élections approchent. Deux camps s’opposent : celui des progressistes et celui  des « personnalités,  (des) bigotes et (…) (des)  bien-pensants ».  Les uns souhaitent le bonheur d’adolescents fragilisés par la vie, les autres, désireux de construire un parc d’attractions, « un Luna Park », ne pensent qu’au  profit et à  la rentabilité.

Enthousiastes, Jean, gros propriétaire terrien et Stéphane, médecin, entre autres,  vont d’emblée appuyer le généreux projet de la jeune femme. Une véritable lutte s’engage entre les camps adverses, révélant des histoires familiales et villageoises  tues depuis des décennies :  rivalités, jalousies, crimes, naissances illégitimes, délation. Le poids des non-dits n’épargne personne entraînant honte, culpabilité (« Brisé, Simon demeurait obsédé par le mal qu’il avait fait bien malgré lui et cherchait désespérément à le réparer »), ressentiment, chantage…

Le respect de la différence

Marie, prête à assumer tous les risques, ne louvoie jamais,   elle se bat contre l’intolérance, pour sauver des jeunes en difficulté, pour le respect de la différence. Le regard qu’elle porte sur autrui révèle son amour, son empathie, sa connaissance de l’âme humaine,  sa capacité à comprendre l’Autre, à analyser avec finesse les situations, à les expliquer : « Tu ne trouves pas que tu t’es assez puni d’avoir perdu Christine, alors que tu n’y étais pour rien ? Tu ne veux pas admettre que Murielle te plaît car tu aurais peur de trahir ton passé » avait lancé la psychologue d’un ton sans réplique ». Les scènes où apparaît André,  le jeune trisomique,  les descriptions le donnant  à voir et à entendre, sont remplies d’émotion et de tendresse, témoignage de la bienveillance et de l’altruisme de la psychologue. Pour elle, il est primordial de s’occuper des jeunes en situation délicate, de les traiter avec compréhension et amour, de les encadrer efficacement en leur proposant des activités qui les intéressent.  Marie prend en compte la personnalité de chacun, répond à leurs besoins afin qu’ils soient heureux, qu’ils accroissent leurs ressources personnelles, deviennent de plus en plus autonomes et s’épanouissent. André s’ouvre à la vie, progresse, « se révél(e) un ambassadeur hors pair », imprégné  de perspicacité. Sylvain, jeune bourgeois   » parti à la dérive à cause de la drogue » se métamorphose en un homme sérieux, désireux de réussir sa vie et dans la vie.

Une comédie de moeurs réaliste

Le volumineux ouvrage d’Eliane Kroukopf regroupe trois tomes  aux récits à la troisième personne soit en focalisation omnisciente, soit en focalisation interne.  L’écrivaine  y  brosse  une immense fresque mettant en scène de  très nombreux personnages décrits de façon précise, chacun avec ses propres caractéristiques. Les descriptions minutieuses de leur physique, de leur caractère, l’accent mis sur les marques des vêtements portés, ( » sa robe rouge en jersey moulant de chez Léonard, (…) une lourde chaîne en argent avec les boucles d’oreilles assorties, signées Christian Lacroix (…) ses escarpins vernis de chez Louboutin…. », « Marie enfila un jean, un tee-shirt, savamment déstructuré, des tennis beiges, ainsi qu’un long gilet en laine et soie, le tout de chez Zadig et Voltaire… »),  la peinture des  lieux d’habitation,  révèlent  le statut social des protagonistes, l’opulence de leurs biens, leur histoire. Ils sont profondément ancrés dans le réel, dans la vie, dans le quotidien.  Les descriptions de leur cadre de vie, de leurs activités abondent. La narratrice glisse toujours des scènes de gastronomie, des descriptions culinaires, propose des menus typiques de la région bourguignonne dans ses tableaux : « Le jambon persillé, cher aux Bourguignons, suivi d’une truite aux amandes, le tout accompagné de vins de la propriété … », « Les plats de charcuteries, de viandes, de poissons firent la joie de tous dans un ballet vertigineux. Après une pause avec un sorbet au marc de Bourgogne, des plateaux de fromages de pays aux arômes puissants, accompagnés de pains aux noix faits maison, ajoutèrent au côté riche des agapes. Le festin se conclut par des poires au vin et un immense fraisier (…) ». L’alimentation, la gastronomie du terroir, comme chez Balzac, jouent un grand rôle dans le récit.  Le roman est pleinement enraciné dans la Bourgogne aimée de Marie, dans ses paysages, ses traditions, ses mets préparés avec soin et amour par Honorine, la fidèle gouvernante.

L’éloge de la différence

Marie de toutes les passions ou une nouvelle comédie humaine est tout à la fois un roman sociologique, psychologique, un roman d’amour et d’amitié, de suspense, aux multiples péripéties, aux nombreux rebondissements tenant en haleine le lecteur avec un tempo haletant. Eliane Kroukopf relève les subtilités psychologiques de chaque protagoniste. Marie,  partagée entre son amour pour Stéphane et sa violente attirance pour Philippe Morange, l’inspecteur de Police, est confrontée à un dilemme. Juliette Ferrière, dévote,  « sous ses airs de femme pieuse », cache de sombres mystères. L’auteure montre toutes les finesses psychiques des êtres pris dans l’imprévisibilité de la vie, leurs qualités, leurs travers. Elle peint  les malaises de la société. Elle dénonce sans faire acte militant, simplement dans le ton du constat, l’intolérance, l’homophobie, le manque d’intégrité  des écoles privées : « Il était brillant (…), c’était d’ailleurs pour cela, mais aussi grâce aux dons qu’elle effectuait régulièrement à l’établissement privé dans lequel étaient scolarisés ses fils, que Nicolas n’avait pas été renvoyé à plusieurs reprises« ... L’ouvrage d’Eliane Kroukopf  fait l’éloge de la différence : « La fête était magnifique et sa joie immense d’accueillir sous son toit tous ces êtres si dissemblables, et qui font que la vie restera toujours un extraordinaire cadeau du ciel ». L’autrice croit en la rédemption des humains, la majorité de ses nombreux personnages dont elle suit la vie évoluant de façon positive au fil des pages.

Débordant d’énergie, nourri de confiance en la vie et en l’Homme, l’ouvrage d’Eliane Kroukopf doté d’une écriture claire et précise est agréable à lire. Il permet, le temps de la lecture, de s’extraire de la morosité de notre époque.

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *