L’île intérieure.
Antonin Moeri
Bernard Campiche éditeur, 2011
CamPoche
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
L’île intérieure d’Antonin Moeri donne à entendre le flot ininterrompu de la conscience d’un narrateur anonyme sous l’emprise d’une sorte de nouveau « mal du siècle », révélateur de profondes insatisfactions physiques, mentales, sociales. Ses portraits constamment négatifs peignent son enveloppe corporelle malingre et peu avenante : « ma poitrine creuse de phtisique, mes longues jambes blanches et lisses, mes cheveux hérissés comme les crins d’une brosse à habit. » Son mal être transparaît tout au long des pages : « Partout je promène avec nervosité ma présence ahurie, celle d’un homme qu’on peut très justement qualifier de trop ». « J’ai toujours été l’être veule, sournois et cruel ».Les états successifs de ce personnage complexe, ambivalent, en proie au dégoût : dégoût de la vie (« Mon dégoût inné de l’existence… »), dégoût devant une société hostile et opaque, gangrénée par l’absurde, (Aurai-je la force, la patience et le courage d’affronter la bêtise, la méchanceté et la cruauté des fonctionnaires sadiques, pervers et ignobles ? Aurai-je l’audace d’affronter leur haleine fétide, leur regard torve, leur grossier langage, la vulgarité de leurs manières », se succèdent divers et variés. L’Autre provoque en lui répulsion et nausée : « Mon dégoût des hommes étant chez moi plus violent qu’aucun autre sentiment ». Les pensées, les perceptions, les souvenirs de cet anti-héros constituent la matière essentielle de ce roman dense dépourvu de paragraphes et de dialogues. Mais cet être qui n’est médiocre que dans sa conscience d’être médiocre et dans l’image négative que lui renvoie sa mère, ne délivre pas qu’un seul regard sur la réalité. Il rapporte aussi les propos négatifs au style indirect libre d’autres personnages. Ces insertions à vocation essentiellement psychologiques et sociologiques rendent parfois difficile l’identification du locuteur.
Ce narrateur est irrémédiablement seul malgré les êtres qui évoluent autour de lui. Uniquement, sa sœur, absente intensément présente, partie lumineuse de lui-même, son double positif, (« pensant à ma sœur, à l’élégance de ses toilettes, à son visage grave, ardent et noble… ») rompt sa solitude (« sa présence imaginée à mes côté ») et illumine sa vie. Une espèce de jeu de miroir s’instaure alors : la sœur absente étant vue et entendue à travers le regard et les paroles du frère qui l’admire et l’aime intensément révélant une relation inconsciemment incestueuse puisqu’il souhaite que la fille avec laquelle il « voudrait vivre » « ait (s)es yeux ».
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