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Les vents du destin

9/09/2017 | Livres | 0 commentaires

Les vents du Destin
Jean-Claude Montanier
Vérone Editions (2016)

 

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

 

    Image vents.jpgAu XVIIIe siècle, les « pirates barbaresques » semaient la terreur dans l’imaginaire et aussi parfois dans le quotidien des marins et des habitants des zones côtières méditerranéennes. Proies faciles, les marins et les paysans cultivant les vignes et les oliviers dans les régions maritimes craignaient d’être capturés puis jetés en esclavage dans des contrées lointaines, pas ou peu connues et de ce fait fort effrayantes pour les Européens d’alors. Turcs et Maures d’Afrique de Nord ne formaient qu’une seule nation dans l’esprit du peuple donnant naissance à des légendes mêlant l’attraction et la répulsion.  Les vents du Destin de Jean-Claude Montanier plonge le lecteur dans ce monde d’alors, essentiellement dans  la vie du petit  peuple des côtes de Balagne et de Martigues. Les destins de deux familles et de leur descendance  se croisent : celle de Jacques-Marie et Silvia Franceschini, des Corses, et celle de Martin Chave. Jacques-Marie et son épouse sont  enlevés par un sombre et cruel pirate Ali Azaï. Après un long et pénible périple, comme Jacques-Marie sait lire et écrire et que Silvia  coud et brode adroitement, ils « échapp (ent) au pire » en étant  vendus ensemble au Dey de Tunis. Une fillette, Marthe, naît pendant ce séjour en terre lointaine. Sérieux, travailleur, doué, doté d’une grande capacité d’adaptation,  Jacques-Marie, véritable picaro,  est vite apprécié par son maître. Comme il déjoue un complot contre le Dey, « ( la)  reconnaissance (de ce dernier) (…) dépass ( e ) ce que Jacques-Marie et Silvia avaient espéré.  (… ) il leur accord ( e ) la liberté et les f(ait)  sujet du bey de Tunis ». Cependant le Prince  garde la petite Marthe auprès de lui. Après huit années en terre étrangère, les jeunes parents  embarquent sur un navire toscan afin de retrouver leur pays, (« L’appel du pays devenait trop fort »), le cœur brisé par l’absence de leur enfant. Beaucoup plus tard, alors qu’il a fait fortune, Jacques-Marie décide de partir récupérer sa fille qu’il ne peut abandonner « fusse dans une prison dorée ».

    Pendant ce temps, la famille Chave vit misérablement à Martigues. Louis, le fils rêve d’accéder au titre de  « capitaine de bateau », sa jeune sœur, Marie, souhaite devenir « une princesse du sud ». Embarqué tout jeune sur un bateau afin que sa famille ait une bouche de moins à nourrir, Louis connaît alors la rude vie de matelot avant de devenir un négociant prospère  Au cours d’un voyage, Marie, sa sœur,  fait la connaissance de Jacques-Marie qui imagine retrouver en elle sa fille. Grâce à  l’aide financière du père éploré, Marie est placée dans une institution religieuse « pour y recevoir une éducation digne des filles de la bourgeoisie de Cadix ». Après de multiples péripéties, des récits tricotant présent et passé,  croisant la vie des différentes familles, les deux jeunes femmes, Marthe et Marie,  aux prénoms symboliques,  se rencontrent, les vents du destin soufflant de façon positive ou négative selon la volonté des dieux et l’ironie du sort.

    Les vents du Destin plonge le lecteur en plein exotisme dans une réalité historique et géographique mais aussi mythique. Les champs lexicaux de la mer, le vocabulaire technique : « la grande vergue », « voile latine », « les focs », « le gouvernail », la référence aux pratiques frauduleuses qui gangrènent le commerce avec les colonies, les descriptions précises des lieux (« La maison ressemblait à un cube posé sur le sol, entouré d’un mur assez haut, fait pour prodiguer un peu d’ombre et protéger du vent dont les tourbillons violents charriaient le sable. On accédait à la demeure par un portillon de bois peint en bleu clair qui débouchait sur une allée bordée de quelques lauriers ») ancrent le lecteur dans le réel.  Ces descriptions réalistes situent bien  le cadre  des événements et disent le plaisir du narrateur à en montrer la beauté. L’action, le suspens, les nombreux personnages qui gravitent autour des protagonistes principaux,  la grâce et la distinction des jeunes héroïnes, les péripéties violentes, les épreuves, la douleur, la mort, l’amour font penser à la série romanesque historique Angélique d’Anne Golon écrite dans les années cinquante. Les récits de voyages,  les expéditions maritimes pleines de risques et d’incertitudes, la rencontre de mondes qui n’ont ni les mêmes valeurs ni les mêmes coutumes,  la beauté de certains lieux,  « les jardins  (…) s’étalaient au-delà des colonnes. Ce n’étaient qu’oliviers et orangers. Au milieu de chacun d’eux, une fontaine laissait couleur l’eau en tous sens pour former de très beaux bassins »), les clichés sur les Maures, les harems, les eunuques,  les rivalités féminines  ne peuvent que plaire et faire rêver les amateurs d’action et d’exotisme. Ces stéréotypes narratifs répondent à l’horizon d’attente  des lecteurs qui recherchent  le divertissement, l’évasion et l’oubli d’un quotidien laborieux.

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