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Les roses noires de la Seine-et Marne

7/03/2015 | Livres | 0 commentaires

Les roses noires de la Seine-et Marne        
Pierre  Lepère    
Editions de la Différence (2015)  
Genre roman policier.

 

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

 

    Image rose noire.jpgCrayencourt,  paisible  « cité fleurie », « plutôt traditionaliste »  sombre brusquement dans une violence mortifère déroutante. Tout commence par une grossière mise en scène destinée à apeurer la population locale et surtout à détourner l’attention de la justice et de la police vers de pseudo problèmes islamistes. Le lecteur se rend alors progressivement compte  que la belle entente  des membres de l’équipe municipale  n’est qu’apparente, « la situation pourrie à la mairie (…) se répercutait jusqu’au sein de la brigade (…) » et  que les manipulations, le mensonge  ternissent la vie de la tranquille petite commune de Seine-et-Marne.

    Dans Les roses noires de la Seine-et Marne, Pierre  Lepère ne se contente pas de privilégier les subtilités du roman policier et du roman d’espionnage, d’utiliser les ingrédients traditionnels qui les constitue, il traite aussi de problèmes psychologiques,  sociaux, politiques. Il raconte la corruption de la justice, la rapidité qu’elle a à classer les affaires qui la dérangent (« L’identification du corps renforça cette hypothèse à laquelle s’empressa de souscrire le procureur Coberti, aussi frileux dans cette affaire que dans celles concernant Barral et Gallocchio »),   la collusion du monde politique avec la mafia russe, « depuis quelques années, la France est devenue la terre d’élection des mafias russe, caucasienne, géorgienne (…) ». Il donne à voir les activités occultes du monde politique, ses violences, le blanchiment d’argent : « l’acquisition du Club Minos est destinée à laver de l’argent sale ».

    Cet ouvrage ancré dans le réel comme le prouvent  des références à des personnes politiques connues, (« Dans le cadre du plan dit ‘de vidéo protection’, mis en place par la ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie en octobre 2007 ») ne propose pas une vision manichéenne simpliste du monde où les méchants s’opposent aux bons. Les êtres sont complexes : Julien Paradine « ne discut ( e ) pas. « Il obé( i) » exécutant les ordres tout en reconnaissant que « C’était toujours un sale boulot de tuer un homme, même une fripouille ». Le capitaine Sembart, apparemment efficace professionnellement, passionnément amoureux de son épouse,  la belle Léa, une ancienne hôtesse du Club Minos, est en réalité un arriviste sans scrupules. Pierre Lepère brouille  avec habileté les repères de la réalité avec des personnages aussi vrais que nature et difficiles à appréhender.

    Son écriture sobre,  poétique est saupoudrée à bon escient de quelques mots familiers, argotiques créant  une illusion de réel. Cependant, on  est loin du lexique particulier, vulgaire du roman policier traditionnel. L’écrivain dit la violence mais ne la décrit pas ou bien use de comparaisons  dont le comparant  supprime la référence à l’humain, sans s’appesantir  sur des hyperboles sanglantes, macabres,  induisant le dégoût : « le crâne de Derjavine (…) explosa comme un fruit trop mûr ».  La sexualité  présente dans l’intrigue  est effleurée avec délicatesse par le biais d’images ou de métaphores : « la même lumière rouge qu’autrefois passa dans son champ de vision, l’éclat brûlant d’une lanterne accrochée à une porte ». La prostitution n’est que suggérée avec le renvoi à la lanterne rouge. La métaphore de l’échouement sur une plage évoque subtilement des ébats sexuels : « Elle ne savait jamais avec lequel elle échouerait sur la plage dévastée de ce lit à tubulures ». Des clichés, clins d’œil amusés au lecteur,  installent  l’histoire non seulement dans le roman policier, mais aussi dans le roman d’espionnage en l’occurrence avec la description de Paradine,  « cheveux gris taillés en brosse, (…) lunettes noires, (…),  une « petite fiasque de whisky » dans la poche. L’univers du complot pimente l’intrigue des  roses noires de la Seine-et Marne. Le narrateur s’empare  avec dextérité de faits susceptibles de révéler les méandres secrets de la société sans sombrer dans un sociologisme et un psychologisme étroits. C’est finalement l’originalité littéraire qui s’impose avec des décors esthétiques, (« le printemps flottait déjà partout comme une promesse. Les massifs rectangulaires qui bordaient les allées ratissées avec soin arboraient des pensées, des narcisses, des jonquilles, des tulipes, des jacinthes et des églantines dans une sobre harmonie de couleurs primaires »), les portraits précisde nombreux personnages typés,  l’humour lorsque le romancier décrit Sembart offrant un bouquet de fleurs à son épouse : « Il avait laissé le bouquet sur la table de la cuisine. Il s’en empara avec une telle hâte que l’emballage doré sembla lâcher un vent. Une fois encore, le ridicule tuait un de ses élans. » ou lorsqu’il évoque l’arrestation de Rachid, innocent jeune homme manipulé par la mafia : « Rachid ne bougeait pas, KO debout ».Des allusions littéraires discrètes séduisent le lecteur avec la référence à 1984 ou au poème de Rimbaud (« Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles./ La blanche Ophélia flotte comme un grand lys/ Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles/ (…) Le vent baise ses seins et déploie en corolle ses grands voiles bercés mollement par les eaux »)  lorsque Pierre Lepère décrit le corps flottant de la splendide Léa, surnommée « ‘Ophélia’ par  « Mme Sylva » : « elle plongeait entièrement dans le flot scintillant puis elle rejaillissait en pleine lumière, l’instant d’après, vêtue d’une longue robe souillée qui avait été blanche (…) la blonde chevelure se déploya et les seins dressés transpercèrent le coton ».        .
    Avec Les  roses noires de la Seine-et Marne, le roman policier sort du purgatoire qui l’assimilait souvent à un sous genre. Avec Pierre Lepère, les catégories  littéraires deviennent poreuses, tricotant histoires policières, histoires d’espionnages, histoires d’amour, histoires politiques.

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