Les Précieuses ridicules
Texte de Molière
Mis en scène par Camille Germser
Renaissance théatremusique
(Oullins Grand Lyon, décembre 2014)
(Par Fabien Quintavalle)
D’entrée, le ton nous est donné dans la mise en scène des Précieuses ridicules de Camille Germser.
Une voix off de pilote d’avion nous invite à attacher nos ceintures pour un voyage au rythme effréné, qui s’avère des plus turbulents.
Cette même voix s’auto-commente « vous vous demandez sans doute pourquoi un voyage en avion, eh bien ne cherchez pas, il n’y a pas de raison. » On croirait entendre le metteur en scène annonçant crânement son parti pris : être ridiculement libre dans son approche.(1)
Attention! Looping hilarant et trou d’air en perspective, dans une pièce qui se revendique donc elle-même du théâtre de l’absurde.
Scène d’ouverture : Molière en personne pointe son nez et vient nous livrer quelques-unes de ses pensées « les véritables précieuses auraient tort de s’offusquer des ridicules qui les imitent mal ». Ce Molière-ci aura donc de l’esprit, mais c’est aussi un metteur en scène donneur de leçons pour ses comédiennes, qui s’invite sur scène et interrompt péniblement le spectacle pour les « commodités défécatoires».
Le rideau s’ouvre et nous laisse entrevoir une scène aux décors les plus clinquants : une rampe lumineuse, des boules de Noël et costumes à paillettes…Dans ce mélange des genres, on songe à l’art contemporain d’un Jeff Koons qui s’inviterait au château de Versailles. On appréciera ce décor accompagné tout au long du spectacle d’une programmation musicale riche et variée, truffée pêle-mêle de sons cartoonesques, de chansons de music hall chorégraphiées, et même, cerise sur le gâteau, d’une démonstration à l’orgue.
Cette dimension éclectique et multiculturelle (reflet de notre époque ?) n’en reste pas là et s’étend au champ linguistique, au texte original des précieuses ridicules, auquel vient s’ajouter la langue de Cervantes introduite par Gorgibus devenue bonne bourgeoise en pantalon léopard et dont le personnage plein de relief plait au public.
L’intrigue initiale demeure la même, tout comme dans le classique de Molière, Gorgibus veut donc caser ses filles, mais cette fois on les découvre plus nombreuses, plus arrivistes, (étant aussi des comédiennes à la recherche de producteurs), plus « pétasses », l’ère du temps et ses mœurs l’obligent.
Ces précieuses arboreront évidemment les marques du luxe Parisiano centré et snobisme des temps modernes, s’exprimeront de temps à autre in English please ! L’anglais qui vient, oh comble du comble, envahir la langue de Molière sur son terrain de prédilection, comme un symbole de domination culturelle anglo-saxonne dans sa culture pop mondialisée et ses slogans publicitaires.
Poussé à son paroxysme lors d’une session collective non s’en évoquer l’art du slam, le total freestyle in english marque des points et le public familier de ces références s’y retrouve gaiement. A contrario ce dernier semble quelque peu troublé par tant d’excès, comme en témoigne la teneur des conversations pendant l’entracte : « C’est quoi l’histoire de base déjà ? »
Et même si la farce fonctionne et que la troupe par son jeu déchainé nous embarque bel et bien dans sa roulotte volante, on ne peut s’empêcher de s’interroger : Is it to much? Is there to many characters? Is it just freestyle for freestyle?
Les puristes affirmeront sans doute qu’il s’agit d’une pièce hypertrophiée où l’on retrouve sans aucun fil conducteur parmi les nombreux rajouts une chanson de Noël et un livreur de pizza. Ils prétendront peut être à juste titre que le texte, bien que rendu dans son intégralité, s’en retrouve dénaturé. Mais en cette soirée spéciale quelqu’un en a-t-il cure ? Si puriste il y avait, alors on peut supposer qu’il n’aurait pas fait le déplacement…
Les enthousiastes se lèveront (vraiment) pour applaudir un spectacle puissant et généreux, ayant conquis leurs yeux et leurs oreilles. Les apprentis critiques tenteront de donner à réfléchir.
Ainsi, pourquoi avoir voulu introduire cette contemporanéité là, dans un chef d’œuvre d’intemporalité? Était-il possible de faire la même pièce tout en préservant davantage sa trame narrative si malmenée ici? L’œuvre de Molière a-t-elle été oubliée au profit d’un divertissement sensationnel ? Ou alors, l’outrage fait au maestro absolu est il si parfaitement calculé, au point qu’il en constitue un vibrant hommage ?
Molière oublié, Molière outragé, mais Molière récompensé (sur scène d’un Molière vous pensez bien).
Et surtout, hourra ! Molière VIVANT !
(1) http://www.theatreachatillon.com/pdf/dossier-les-precieuses-ridicules.
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