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Les frères Seganniers. Tome I – Un jeu dangereux

1/09/2020 | Livres jeunesse | 0 commentaires

Les frères Seganniers
Tome I – Un jeu dangereux
Corentin Segura
Les 3 colonnes (2018)

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

Un jeu dangereuxUn jeu dangereux, tome premier d’une saga à venir intitulée Les frères Seganniers, de Corentin Segura, roman destiné à la jeunesse, emporte les lecteurs dans les aventures incroyables et haletantes de deux adolescents plongés dans des situations tout à la fois réalistes et fantastiques.

Les deux frères

Au début de la narration, les frères Adam et Ethan Seganniers, de dix-sept et dix-huit ans, mènent la vie de tous les lycéens de leur âge. Ils sont proches et unis (… « ils étaient les frères Seganniers, soudés et unis à travers la vie »), bien qu’Ethan ait été adopté sept ans plus tôt, et malgré leurs personnalités totalement différentes (« (…) ils restaient quand même très différents. L’un était un gars cool, l’autre un rat de bibliothèque »). Les deux frères sont entourés d’amis, essentiellement deux belles jeunes filles, Jessica et Lizzie, dont ils sont plus ou moins amoureux. Ils demeurent à Nirelane, petite bourgade provençale apparemment paisible :« Ah, Nirelane, un petit coin de paradis au bord de la mer. Une belle bourgade qui n’avait jamais connu un seul problème depuis longtemps. On pouvait laisser sa maison ouverte la nuit sans risque de cambriolage ». Mais au fil des pages, le lecteur découvre que cette charmante petite ville possède curieusement une autre facette, souterraine, cachée, méconnue. En effet, progressivement, Nirelane révèle à ses jeunes habitants sa face obscure, les transportant dans un monde de souffrance, de ténèbres, violent et mortifère, né de l’esprit torturé d’un mystérieux individu se présentant comme le maître du jeu.

La montée de l’angoisse

Ce maître du jeu jette les deux frères, bien malgré eux, lors du bal précédent Halloween, dans un jeu démoniaque, faisant basculer leur vie dans l’étrange et la violence. Une «  silhouette, cachée sous une grande capuche, complètement vêtue d’une immense cape noire », surgie de nulle part, sème le trouble et l’angoisse chez les deux frères. Après l’avoir aperçue, un sombre pressentiment concrétisé par des sensations corporelles désagréables envahit les adolescents : « Cependant il sentait un ressenti bizarre en lui, au niveau du ventre comme si quelque chose de mal allait bientôt arriver (…) », « Depuis ce matin Ethan frissonnait souvent, depuis que cette étrange silhouette l’avait aperçu sur la place du marché de Nirelane ». Puis des SMS anonymes malveillants, de plus en plus inquiétants et menaçants arrivent sur leur téléphones portables. L’individu masqué propose des énigmes à résoudre, impose un ensemble de règles à respecter à ce qu’il définit comme un jeu après avoir enlevé Ethan lors du bal : un grand bal donné dans l’immense et somptueux manoir « ressemblant à un petit château de l’époque classique de Louis XIV » appartenant au comte et à la comtesse Leira, l’oncle et la tante de Jessica. Il s’agit d’une fête grandiose, espèce de bal de la Vaubyessard moderne avec « un DJ sur une grande estrade sur un des côtés mixant de la pop, et plein de jeunes dansant devant lui en gesticulant du mieux qu’ils pouvaient ». Ce bal fastueux se déroule en compagnie de personnalités de la ville, dans un lieu fascinant, luxueux, féerique, décrit avec de nombreux superlatifs sollicitant la vue et les sens. Ce bal rompt la monotonie de la vie des habitants de la paisible bourgade, mais c’est aussi le début de la dramatique aventure pour les jeunes gens.

Violence et captivité

La violence physique, psychique, orale du maître du jeu se déchaîne sans que les protagonistes et le lecteur en connaissent les raisons. Les actes brutaux décrits avec précision s’enchaînent. Enfermé dans une cage, privé de nourriture, Ethan subit de nombreux sévices : « Il serra les dents et affronta les coups de fouet qui n’en finissaient plus. Après l’avoir étranglé, maintenant le maître du jeu préférait le taillader ». Le sadisme du bourreau n’a pas de limites.

Heureusement plus tard, Ethan, isolé dans sa prison, découvre un autre prisonnier, un jeune homme, enfermé avec lui : Drew. Appréciable soutien dans ce lieu solitaire, froid, mortifère. Cependant cette présence trouble et interpelle Ethan  : « Pourquoi Drew lui faisait-il cet effet-là ? ».

Un suspens haletant

Dans ce roman mêlant réalisme et fantastique, suspense et mystère, histoires amicales et amoureuses, roman sociologique et psychologique confinant au roman de filiation, roman de la culpabilité et de la vengeance, les péripéties se succèdent étonnantes, surprenantes piquant la curiosité du lecteur. Le narrateur joue habilement sur les indices. Mais ces indices sont faussés et trompeurs. Ce sont souvent des leurres. Le narrateur joue aussi avec le temps, bouleverse l’ordre temporel, faisant alterner le présent,- les aventures des jeunes gens dirigées par le maître du jeu -, et le passé, l’enfance d’Ethan avec ses parents biologiques, ses souffrances, ses rencontres. Dans cet ouvrage constitué de retours en arrière, le narrateur, par moment, anticipe aussi l’avenir, annonçant de nouvelles épreuves, créant des effets de suspense supplémentaires : « Ce qu’Adam ignorait, c’est que rien n’allait se passer comme prévu et qu’un immense cauchemar allait commencer pour le beau jeune homme. Un cauchemar qui allait le hanter même dans le plus beau de ses rêves ». Le romancier distille minutieusement les informations, multiplie les retournements de situations, brouille les repères, produisant la surprise chez le lecteur. Tout comme les frères Seganniers sont piégés par le maître du jeu, le lecteur est piégé par l’écrivain.

Un roman complexe

Ce roman ludique et cruel enraciné dans le réel – les personnages, leur personnalité, leur ressenti, les lieux traversés sont peints avec précision – possède aussi du fantastique et du merveilleux. Adam dialogue avec le vent (« Le vent avait commencé à lui murmurer à l’oreille »), entre en osmose avec lui (« Le vent se leva sous la colère d’Adam ») et en possède la force (« Il dégagea à nouveau une salve d’énergie qui envoya valser le maître de l’autre côté de la salle »). Le maître du jeu pénètre les pensées,exerce sa violence à distance…

Mais cet ouvrage n’est pas seulement destiné à faire rêver le lecteur, il fait aussi appel à sa réflexion, proposant tout un aspect sociologique et psychologique loin d’une vision manichéenne du monde partagé entre les « bons » et les « méchants ». Les êtres sont complexes. Leur apparence est parfois trompeuse. Corentin Segura donne à voir la société et ses différentes classes sociales, le mépris des plus aisés pour les plus simples (« Jessica eut un sourire méprisant en voyant la ferraille qui servait de véhicule à son souffre-douleur »), le rôle joué par l’inconscient, des événements présents faisant ressurgir le passé et ses traumatismes. Il montre l’importance des valeurs familiales, de la solidarité. Il traite de la découverte de l’amour et du désir, de l’homosexualité.

Le tome I, Un jeu dangereux de l’ouvrage, Les frères Seganniers, premier roman du jeune Corentin Segura, s’adressant aux adolescents et aux « adulescents », est original. Roman plaisir, il sollicite aussi leur réflexion, leur permettant de se poser des questions d’ordre moral et existentiel. Loin de la littérature traditionnelle et conventionnelle, il peut procurer le goût de la lecture dans une société où nombreux sont les pessimiste qui signalent le déclin du livre.

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