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Les dieux voyagent la nuit

3/08/2006 | Livres | 0 commentaires

Les dieux voyagent la nuit
de Louis-Philippe Dalembert

Le Rocher, 2006

(par Annie Forest-Abou Mansour)

dieu.jpgTout ignorer du vaudou quand on est natif de Port-au-Prince apparaît comme une fâcheuse lacune au narrateur de ce nouveau roman de Louis-Philippe Dalembert, après Rue du Faubourg Saint-Denis. Pour remédier à cette tare qui le constitue en « nègre masqué », il assiste en spectateur à une cérémonie vodou en compagnie de son amie Caroline. Cet événement le replonge alors dans l’univers magique et tabouisé de son enfance, espace à partir duquel se déploient les souvenirs d’une vie innocente nourrie de légendes et de superstitions. A partir de ce moment-là, Louis-Philippe Dalembert fait alterner les voix de l’enfant et de l’adulte.
L’enfant s’exprime facétieusement au fil des pages, plein de tendresse pour sa « grannie » qui l’a élevé avec amour, mais aussi sévérité afin de l’éloigner des « sataneries ». Le garçonnet emporte avec humour le lecteur dans un univers créole aux interdits religieux multiples et mystérieux. La verve de l’écrivain opposée à tout classicisme confère vie et dynamisme au texte. Les métaphores innovantes et concrètes entraînent le lecteur dans la vie merveilleuse et « fantaisiste » de l’enfant (« Le crépuscule pointe à peine le bout du nez. Encore quelques minutes, et il s’abattra sur la ville. Zac ! », « …le passé simple du verbe clore, qui te donne une pelote entière de fil à retordre en classe… »). L’adulte, lui, se décèle à son recul, à ses clins d’oeil malicieux au lecteur (Port-aux-Crasses pour Port-au-Prince) et surtout à sa poésie. Chaque paragraphe initial de chapitre fait entendre le lyrisme poétique de ce dernier, amoureux de Caroline : « Une chanson douce à frémir la chair du temps ». Au tempo allègre de l’enfant répond la voix de l’adulte, langoureuse et sensuelle.

L’écriture musicale et rythmée de Louis-Philippe Dalembert séduit le lecteur. Cependant l’idéologie implicite l’interpelle davantage. Ce livre prouve aussi qu’appartenir à une culture plurielle est une richesse incommensurable qui peut se vivre sans heurt et sans problème. Il n’y a rien de plus beau qu’être un citoyen du monde.

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