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Les Chrétiens d’Orient, Jean-michel Cadiot.

21/06/2011 | Livres | 2 commentaires

 

Les Chrétiens d’Orient,
Vitalité, souffrance, avenir
Jean-Michel Cadiot.
(Editions Salvator, 2010)

(Par Elias Abou-Mansour)

 

 

    L’essai historique de Jean-Michel Cadiot, Les Chrétiens d’Orient, Vitalité, souffrance, avenir,  traite de l’histoire et de l’Eglise de l’Antiquité jusqu’au XXIe siècle. C’est un ouvrage dense  de trois cent onze pages qui s’adresse essentiellement à des spécialistes. Devant l’opacité et l’exhaustivité du récit, le lecteur néophyte risque de se lasser. L’auteur évoque   les Chrétiens  de tout l’Orient, c’est-à-dire les Chrétiens d’Europe de l’Est, de  Russie, du Proche et du Moyen Orient et d’Asie, y compris  la Chine.
Ce champ  de réflexion étendu dans l’espace et dans le temps est sérieusement documenté. Jean-Michel Cadiot insiste sur la richesse du Christianisme oriental  resté longtemps florissant. C’est en Orient que se sont développés la théologie et l’ascétisme.  Le Christianisme oriental instaura le cénobisme bien avant Saint Benoît. « Deux (…) moines égyptiens ont marqué à tout jamais le monachisme chrétien : Saint Macaire et Saint Pacôme ». L’auteur secoue  les clichés. Il dévoile que l’Eglise nestorienne a évangélisé l’Asie, la Mongolie et la Chine bien avant les missionnaires franciscains, dominicains et jésuites.
De surcroît,  Jean-Michel Cadiot expose clairement les dogmes de l’Eglise. La plupart des Eglises orientales professent des doctrines monophysites. Pour ces Eglises, Jésus n’a qu’une seule nature et elle est divine. En revanche, le duophysisme affirme la double nature, divine et humaine. Le concile de Chalcédoine condamna  donc le monophysisme. L’auteur initie le lecteur à des dogmes, à des problèmes christologiques enfouis dans l’oubli et dans le silence du passé.  Jean-Michel Cadiot aide le lecteur à comprendre les concepts religieux. Loin de tout pédantisme, il éclaircit les concepts tels que le gnosticisme, le marcionisme, le montanisme, l’arianisme… en maestro. Par conséquent, l’auteur utilise un métalangage peu courant pour les lecteurs néophytes, comme « miaphysisme », « monothélisme »… Un lexique  les aurait bien aidés  à la compréhension de ces différents concepts.
Avant de procéder à l’analyse du contenu de l’ouvrage, il est nécessaire de préciser que les Chrétiens orientaux sont différents des Chrétiens occidentaux. Et la vision que les Chrétiens orientaux ont des croisés est révélatrice de cette dissemblance. Les Croisés ont laissé des blessures profondes dans la mémoire collective des Musulmans et des Chrétiens orientaux. Un fossé s’est donc creusé entre les Latins et les Byzantins : « Le sac de Constantinople s’inscrivant dans la mémoire collective des Byzantins ». Ibn al-Athir,  un chroniqueur arabe, a laissé un témoignage allant dans ce sens : « la population fut passée au fil de l’épée et les Francs massacrèrent les Musulmans de la ville pendant une semaine (…) Dans la mosquée Al Aqsa, les Francs massacrèrent plus de soixante-dix mille personnes parmi lesquelles une grande foule d’Imams et de docteurs musulmans…. ». Les Chrétiens d’Orient désapprouvaient  la politique des Croisés. Ils se méfiaient de leur brutalité. Depuis longtemps, ils sont perméables à l’Islam et imprégnés de la civilisation islamique.  Ils vivent un œcuménisme permanent avec les Musulmans.

    Etant donné que l’essayiste parle des Chrétiens de tout l’Orient, nous limiterons notre réflexion aux Chrétiens arabes. Nous montrerons que l’Islam arabe est tolérant, que la coexistence entre les communautés musulmane et chrétienne, dans le Croissant fertile, a  quasiment toujours été respectée et observée.  Certes,  au cours de l’histoire, des agressions et des mesures, jugées à notre époque discriminatoires, sont venues déroger à ce havre de paix.  L’auteur évoque, par exemple,  le statut de dhimmi qui s’appliquait aux Chrétiens et aux Juifs, aux gens du Livre (en arabe : ahl al-kitab), moyennant l’acquittement d’un impôt. En plus, il décrit les moyens de coercition à l’égard des Chrétiens : « Les Coptes ont subi plus de persécutions sous le règne des Ommeyades et des Abbassides (…) sous les Fatimides (969-1169), la période d’Al-Hakim fut plus troublée. Ainsi, en 1004, il contraignit les Coptes  à porter le turban et une ceinture noirs, et en 1009, il procéda à une vague de conversions forcées qui fit chuter sensiblement le nombre de coptes. » Il est vrai que la mémoire collective des chrétiens orientaux est traumatisée par des poussées d’hostilité  virulentes. Néanmoins, pour éviter tout anachronisme, il faut signaler que les droits de l‘homme n’existaient pas à cette époque. Le sujet devait embrasser la religion du roi ou  du sultan. L’absolutisme en France n’a-t-il pas persécuté les Protestants ? Le Pape innocent III n’a-t-il pas lancé, en 1208, la première croisade contre les Albigeois (les Cathares) ? Certes, toute discrimination, passée et présente, est à réprouver. Mais, il est nécessaire de comprendre la culture du siècle.

En outre, les Chrétiens d’Orient sont enracinés dans leur environnement. Ils sont acteurs dans la société. En Lettres, des écrivains, Chrétiens et Musulmans, ont provoqué un essor intellectuel. C’étaient  les humanistes de la Renaissance arabe. « Ainsi les Maronites Michel Chiha et surtout Khalil Gibran, dont l’œuvre, Le Prophète, poème philosophique écrit en 1923 à New York bouleversa le monde entier. » Gibran se révolta contre le joug des traditions désuètes. En 1908 son livre Esprits rebelles avait été qualifié d’« hérétique » par l’Eglise maronite, et ses livres furent brûlés sur la place publique, à Beyrouth, par les autorités ottomanes  Une femme écrivain maronite libanaise, May Ziadé « est considérée comme la pionnière du «féminisme arabe. » De surcroît, sous l’impulsion des Syro-libanais et parmi eux, des Chrétiens, l’Egypte, au XIXe siècle, a connu une effervescence intellectuelle et littéraire. Ces avant-gardistes chrétiens et musulmans ont revivifié et modernisé la langue arabe. Les Chrétiens arabes sont les acteurs de la modernité et les piliers de la renaissance arabe. En plus, le complexe minoritaire  des Chrétiens orientaux  a forgé une identité culturelle axée sur la modernité, la laïcité, le pluralisme, la liberté, la démocratie et l’ouverture d’esprit. La présence chrétienne, dans le monde arabe, est un facteur de convivialité. La société arabe devient, alors, par sa présence, mosaïque, plurielle et tolérante. Jean-Paul II disait du Liban, « ce n’est pas un pays, c’est un message ». Cependant, à notre avis, les dangers qui guettent les Chrétiens arabes sont l’isolationnisme, l’identification à la politique étrangère de l’Occident et la guerre israélo-arabe. Cette guerre est la matrice de la paupérisation de la population, de la radicalisation de la société, du militarisme, de l’antisémitisme, du fanatisme religieux,  de la montée du fondamentalisme, du rejet du pluralisme et de l’exode des Chrétiens. Il est temps que l’Occident impose aux belligérants une paix juste et globale.

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sp;   Le livre de Jean-Michel Cadiot, Les Chrétiens d’Orient, Vitalité, souffrance, avenir, est richement documenté. Les événements historiques s’enchaînent. Le lecteur avisé trouvera un plaisir à parcourir le temps historique. Cependant  nous  ne partageons  pas le pessimisme de l’auteur en ce qui concerne l’avenir incertain des Chrétiens d’Orient. Pourquoi avoir peur de l’avenir ? L’effervescence de la Révolution égyptienne a donné confiance aux Chrétiens orientaux. Sur la place  Tahrir, les prêtres coptes et les ulémas d’Al Azhar partageaient la même liesse. Le Coran et la Croix surplombaient la foule. Le rôle du Chrétien est donc fondamental et essentiel. Il doit sensibiliser les musulmans à une société laïque,  démocratique,  consolider et intensifier le dialogue islamo-chrétien.

2 Commentaires

  1. rozier

    Bonjour,
    Je ne suis pas très branchée religion..La politique m’exaspère souvent.Cependant,en parcourant
    le condensé du livre J’ai noté un pessimisme exacerbé,dont je ne partage pas le fondement.Personnellement je pense que tous chrétiens a un rôle essentiel.Pour construire la société de demain.
    Pour tendre à une société tolérante,envers toutes les
    religions,ou tout un chacun pratique le culte sans jugement ni condamnation des religions autre que la sienne.Une société non
    seulement démocratique, mais aussi une société tolérante, confiante,
    ou toutes les souffrances, seraient riches d’enseignements et génératrices d’un futur meilleur.Le rôle du chrétien est déterminent, pour aboutir à la consolidation du dialogue Islamo-
    chrétien Et surtout que l’occident impose une paix , juste pour
    tout le monde.Une liberté de choix amenant progressivement à la cohabitation de la croix et du coran sans que chacun y voit d’inconvénient.Avec pour maitre mot:respect des idées des autres
    tant sur le plan religieux que politique Utopie,idéalisme?Nous avons à mon sens en se détachant un peu du livre,beaucoup d’efforts à faire pour tendre à cette union pluraliste.Car comme le dirait un vieux dicton qui trouve toujours sa place: chacun prêche pour sa paroisse.Le monde d’aujourd’hui,est plus individualiste que fédérateur d’union.L’acceptation de la différence est difficile à réaliser.Je ne veux surtout pas arrêter,ces quelques remarques sur un note pessimiste,mais je pense être réaliste en disant que le chemin reste long,et jalonné d’embuches.Pour arriver à ce rassemblement dont beaucoup rêve.
    A bientôt de vous lire
    Michèle

  2. Rosa

    Livre et sujet passionnants.
    En fait il me semble, et je ne sais pas si le livre l’aborde, que cette différence des chrétiens d’Orient remonte aux origines…
    J’ai découvert un vieux livre qu’étudiaient autrefois les séminaristes : la Patrologie de Tixeron. Il évoque tous les écrits parus dans les premiers siècles de l’Église, jusqu’au IV è siècle. Beaucoup de polémiques et de contreverses tournant principalement autour de la divinité du Christ.

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