Les Arcanes de l’amour
Philippe Sauvageot
Les Editions Baudelaire (2021)
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
Un écrit polyphonique
Les Arcanes de l’amour, premier ouvrage de Philippe Sauvageot, est tout à la fois un roman d’amour vibrant et tendre, se déclinant parfois en roman érotique brûlant, et un discours, une réflexion sur l’amour. Cet écrit polyphonique ayant pour cadre la région lyonnaise, (Vaise, Villeurbanne, Dommartin), le Creusot, la Corse, l’Italie tricote récit et discours, présent et passé, faisant alterner les points de vue des deux principaux protagonistes, Françoise Maillet et Paul Bidaut, et de leur entourage.
Françoise, mariée à Roger, mère de trois enfants, Aurélie, Romain et Maxime, professeure de Lettres modernes, va bientôt atteindre la cinquantaine. Paul, de dix ans son aîné, marié à Catherine, père d’une fille unique, Anaïs, est journaliste. Dans le cadre « d’un partenariat lycée-journal », Françoise a longtemps fait intervenir Paul dans ses classes afin de développer les compétences orales et écrites de ses élèves et leur esprit critique. Au bout d’une vingtaine d’années de collaboration, le partenariat a pris fin. Deux ans plus tard, Astrid, la « responsable de la rubrique jeunesse du journal » de Paul décide d’organiser « un repas de retrouvailles » entre elle, Catherine et Paul : une occasion pour échanger à nouveau.
Une histoire d’amour au crépuscule de la vie
Le fait de se revoir bouleverse Paul et Catherine. Des souvenirs proches et lointains surgissent. Quelques semaines après leur rencontre au restaurant, ils se retrouvent seul à seule et deviennent amants. Une histoire d’amour naît. Leurs ressentis, leurs émois sentimentaux et physiques sont décrits avec précision et délicatesse. Catherine et Paul, acteurs mais aussi observateurs attentifs de leur vécu, de leurs sensations, dans des flux de conscience lyriques, dans des messages échangés oralement ou sur leurs téléphones portables disent leurs fantasmes, décrivent leur amour et les plaisirs partagés dans des scènes d’un réalisme discret légèrement pimenté, dans des envolées métaphoriques évocatrices. L’amour transfigure leur vie et leur vision du réel. Paul fait l’éloge de l’art d’aimer de son amante et de son corps. Pour l’amoureux, le corps féminin devient violon, outil de séduction dont les vibrations transmises le pénètrent dans une communication vibratoire, véritable souffle de vie : « Ton corps est doté d’une magie érotique, ton corps (…) a la majesté d’un violon. Ton amour aux mille facettes est une symphonie. Ce violon est un Stradivarius qui remplit tout mon corps de vibrations profondes, le souffle nouveau de ma vie ». La peau de Françoise accède métaphoriquement à l’échelle cosmique : « cette peau (…) à caresser, à admirer lorsque l’oeil s’y attarde comme une loupe et découvre dans ce microclimat les entrelacs, les îlots, les fissures qui capturent l’ombre, et les sommets qui exaltent la lumière ». L’amoureux devient poète atteignant à partir du corps de son amante l’univers entier. De nombreuses métaphores florales, cosmiques retranscrivent l’émotion des amants, matérialisent la vision idéalisée de leur amour perçu à travers leur riche culture littéraire, poétique, cinématographique, philosophique. Le désir, le plaisir, l’amour les gardent vivants, leur accordent une seconde jeunesse : « Avec toi, je découvre un grand bain de jeunesse ». Vivre cet amour au crépuscule de leur vie est une façon de ressusciter le flamboiement, l’exubérance, les incertitudes aussi, de leurs vingt ans, (« Paul se sent rajeunir et ce n’est pas un sentiment confortable. Il retrouve toutes les incertitudes des sentiments flous »), c’est se prouver qu’ils peuvent encore plaire (« Je lui apportais la confirmation qu’il était encore capable de séduire ») et oublier momentanément l’écoulement inexorable du temps. De la sorte, la Vie l’emporte.
Accueillir ses états d’âme
Cependant des inquiétudes morales, des troubles de conscience, un sentiment de culpabilité, s’emparent progressivement d’eux. Ils ne veulent pas que leurs époux respectifs, tendrement aimés malgré la trahison, souffrent. Ils souhaiteraient concilier leurs vies conjugale et extra-conjugale, se souvenant des amours zoliennes : « J’ai pensé aux deux amours d’Emile Zola, deux femmes réconciliées après la mort de l’écrivain, l’officielle Madame Zola aidant la maîtresse à élever les enfants nés de ses amours avec son propre mari ». Eprouvant du plaisir à parler de l’amour, à l’évoquer, ils philosophent, argumentent, commentent, invitent à la réflexion, réfléchissent aux notions de passion (« La passion est peut-être éphémère. Cet amour profond ne l’est pas ») de fidélité, à la conception du mariage, à la monogamie. L’amour occupe leur vie, leur esprit, envahit leur quotidien, loin de la lassitude et de l’ennui procurés par l’habitude et la routine. Mais les années passent, la vie, ses joies comme la naissance de petits-enfants, ses peines comme la mort de parents âgés, la fatigue due à l’écoulement du temps, transforment le feu de l’amour extra-conjugale. A la sensualité se mêlent désormais davantage la tendresse, le plaisir d’échanger.
Les amours passées et présentes
Dans ce roman où plusieurs voix se font entendre, où plusieurs destins liés à Paul et à Françoise s’entrecroisent, le discours amoureux s’élargit aux amours présentes et passées de leur entourage, de leur famille, allant des amours compliquées de leurs ancêtres à celles parfois contrariées de leurs enfants. Des secrets de famille fondés sur des histoires d’amour complexes ancrées dans l’époque trouble du fascisme italien surgissent jetant la parentèle dans « la tourmente du mystère Feruglio ». En effet, des mystères familiaux se révèlent au fil des pages, créateurs d’un léger suspense.
Cette réflexion sur l’amour, qui se mêle à des segments dialogués, au récit et à la description du vécu au fort effet de réel, montre que suivant les époques, le sentiment amoureux est toujours présent, toujours aussi fort et bouleversant. Seuls ses codes, sa représentation, les interdits, changent et différent : désormais la grossesse arrivée avant le mariage est acceptée, le désir ose se dire sans honte ni fausse pudeur, des personnes du même sexe peuvent s’aimer librement… L’amour, pulsion de vie essentielle, est un thème prédominant qui ne cesse d’évoluer dans toute création artistique.
Littérature et réel
Ancré dans le réel, abordant différents thèmes comme le racisme, l’émigration (« (…) en 1948, quand vos grands-parents sont arrivés. Les Ritals, comme on disait en France, étaient nécessaires à la reconstruction de l’économie , mais ils n’avaient pas bonne presse, comme tous les immigrants. Un ‘Rital ‘ d’hier, c’est un ‘Bougnoul’ d’aujourd’hui »),le fascisme italien durant la seconde guerre mondiale, les Restaurants du Coeur, le PACS, la PMA, les difficultés de l’écriture romanesque, la relation au lecteur (« Car écrire est un art difficiles, et passer de la sphère personnelle au récit qui peut intéresser un lecteur inconnu, et le toucher sans qu’on sache bien pourquoi, est une grâce ou un miracle »), ce roman est le miroir de la société passée et actuelle. Non seulement enraciné dans le réel, il se nourrit également de toute une richesse culturelle avec des clins d’oeil poétiques procurés par des métaphores florales, le motif de la rose en l’occurrence, relevant du monde imaginaire de Ronsard, avec des références littéraires (« Cyrano », « La belle Roxane »), philosophiques (« Lao-Tseu ») cinématographiques (« Sophie Marceau dans la Boum »), le tout rédigé de façon claire et limpide.
Ce premier roman de Philippe Sauvageot dit non seulement la polysémie du mot « amour », mais aussi sa densité et sa résonance magique quelque soit l’âge des amants. Cet ouvrage séduira ceux qui, désireux d’échapper au quotidien, recherchent la détente et la légèreté.
C’est formidablement bien résumé. J’ai aimé ce roman, je le conseille.
En attendant le prochain…..
Permettez-moi de vous remercier très chaleureusement pour votre analyse de mon premier roman sur votre blog littéraire.
J’en suis honoré pour plusieurs raisons :
– Ce que je découvre de vous sur internet – titres, écrits, carrière, mais aussi la présentation de votre ambition de « mettre en lumière le talent des écrivains, des poètes, des artistes, pour leur donner davantage de visibilité loin des grands circuits où le profit s’impose » – me rend très fier d’avoir fait partie de vos choix de lecture et d’avoir bénéficié d’une analyse poussée et bienveillante.
– Le contenu même du compte-rendu : vous avez remarquablement compris et fait comprendre au lecteur mon projet d’écriture, amour de l’amour éternel et toutefois évolutif, et amour des mots pour le chanter.
Vous avez réalisé la critique de mon livre avec un talent que je salue. Votre critique libre de tout préjugé me pousse à croire que je pourrai demain encore avoir l’impudeur de coucher sur le papier mes sentiments ou le fruit de mon imagination. Pour un primo-romancier c’est une reconnaissance très appréciée.
Je vous en remercie de tout cœur
Philippe Sauvageot