Les Amazones
Livre 2 : Les montagnes rouges
Véronique Tardieu
Editions Baudelaire (2021)
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
Un roman initiatique
Dans le deuxième tome des Amazones intitulé Les montagnes rouges, de Véronique Tardieu, le lecteur retrouve avec un indicible plaisir les personnages devenus ses amis au fil des pages du premier ouvrage, le Tournoi de la rose (1). Dans le second volet de la trilogie à venir, il suit les aventures de l’une des amazones les plus puissantes du peuple Tarodas, fille du roi Ataris et sœur d’Aponi, Leirba, âgée de dix-sept ans. D’une grande maturité pour son jeune âge, Leirba est dotée de dons exceptionnels et multiples : «Seule Leirba possédait plusieurs dons : celui des forces opposées, celui de la seconde vue et celui des armes sont ceux qui avaient été identifiés mais peut-être d’autres sommeillaient en elle ». Sa formation n’étant pas achevée, Leirba est envoyée dans les hostiles montagnes rouges pour y subir un certain nombre d’épreuves initiatiques afin d’acquérir le statut définitif d’amazone. C’est lors de cette initiation qu’elle rencontre les fugitifs Joonis et Blick escortés du gigantesque et doux Zenok crée par Nopac, le père de Blick, un grand scientifique. Afin de fuir Kalbur, les évadés se sont enfoncés au plus profond des montagnes rouges à l’unique chemin escarpé et dangereux : un « choix habile », intelligent, mais qui risque d’être fatal à leur survie.
Outre ces différents personnages, le lecteur retrouve bien évidemment l’ensemble des protagonistes de la saga manichéenne où les forces du Bien et du Mal s’affrontent dans des paysages fabuleux et grandioses le détournant d’un quotidien banal et lui permettant enfin de savoir ce qui arrive à tous les personnages du Tournoi de la rose auxquels il s’est attaché.
Un souffle épique
Dans le premier tome, les cinq peuples du continent fabuleux vivaient en paix, mais une guerre menée par le diabolique et cruel royaume de l’ombre, Kalbur, se préparait. Dans l’objectif de défendre les pays et leurs populations, le roi de Tarod créa l’ordre de la rose afin de « dénicher des combattants d’exception » dotés d’une robustesse physique et mentale prodigieuse. Dans le second tome, le lecteur rencontre une fois de plus les jeunes combattants poursuivant leur entraînement sous l’oeil attentif du capitaine Tork et de dame Nidor, « maîtresse des armes des amazones ». Cette fois, les entraînements ne sont plus ludiques : il s’agit désormais de vraiment se préparer à affronter le pire face aux redoutables et féroces combattants de Loknorde, le Seigneur de Kalbur. Stimulés par leurs maîtres d’armes, les jeunes de l’Union jouent le jeu dans des ballets « de sauts, figures et parades tout à fait exceptionnels » aidés, pour les Droades, par leur « animal-vie », un cobra pour Cobrasco, une louve pour Louvac, un corbeau pour Corbierre : « (…) Pendant que Corbierre combattait à l’épée contre l’un d’eux, il se jetait sur le casque pour piquer les yeux de son bec acéré ». Outre leur motivation et leurs capacités exceptionnelles, les jeunes combattants doivent faire preuve de réflexion et d’adaptation : « Cet exercice avait pour objectif de (…) démontrer que l’on ne peut pas toujours anticiper sur le champ de bataille et que souvent il faut réagir à chaud avec les atouts que nous avons en main ». Ils en auront très rapidement besoin. En effet, Loknorde décide d’exterminer les Mikros, un peuple pacifique et doux. « Il ne s’agit pas encore de la guerre mais d’une sanglante bataille ». Dans une épopée d’une violence extrême et sanguinaire entre la soldatesque de Kalbur et les membres de l’Union, les combats font rage : « l‘ordre de la rose comme l’union n’étaient pas préparés à ce spectacle abominable. Leurs yeux hagards balayaient la scène comme s’il s’agissait d’un cauchemar particulièrement effroyable ». Cette bataille terrible annonce la guerre à venir que le lecteur devrait découvrir dans le dernier tome de la trilogie.
Ce roman initiatique où se tricotent la fantasy et ses sous-genres, – dark fantasy, epic fantasy, high fantasy-, entraîne le lecteur dans un maelstrom tout à la fois cauchemardesque et onirique, constitué de perversité et d’innocence, de violence et de douceur. L’objectif de Loknorde, le seigneur de Kalbur, royaume monochrome, dantesque et sanguinaire est d’asservir les autres peuples. Il est secondé par ses « anges », désignation antiphrastique, des créatures maléfiques et monstrueuses dont Mantrax, espèce de Gilles de Rais d’une autre époque, un pervers jouissant de la souffrance d’innocents et fragiles enfants. Il s’agit de la part de Véronique Tardieu d’un clin d’oeil historico-littéraire, d’une mise en abyme du sinistre Seigneur de Tiffauges qui, comme Mantrax, aimait à écouter la voix angélique de bambins qualifiés par lui aussi de « rossignols » (2) qu’il consolait après les avoir violentés. Le substantif « ange » désignant les reitres de Loknore était aussi attribué à François Prélati, dit « l’ange alchimiste », prêtre complice de Gilles de Rais.
La tension narrative et dramatique est à son comble dans Les montagnes rouges. L’angoisse monte au fil des pages chez le lecteur impatient de connaître l’issue des événements : la pureté l’emportera-t-elle contre la noirceur ? Y aura-t-il une rébellion des géants à Kalbur ? Qui sont vraiment Lekke et Lara ? Le roi Drakonis va-t-il céder aux appels de Loknorde ?
Des rêves d’amour
Dans ce roman au suspense haletant, le lecteur assiste non seulement aux entraînements des différents peuples, à des coups de théâtre et à des coups de tonnerre trépidants, mais aussi aux premiers émois amoureux de jeunes gens désireux de connaître le bonheur avant leur possible mort lors des combats : « Mais en définitive, si nous devons mourir bientôt j’aimerais avoir connu l’amour avant. Et connaître l’amour, cela signifie avec lui. L’embrasser, être dans ses bras... ». Amusé, il surprend le trouble et la fascination de Tork amoureux de la belle, sévère et impassible dame Nidor qui se déride enfin insensiblement et progressivement face à cet homme fin et compétent qui jusqu’à présent « n’avait jamais été particulièrement sensible à la gent féminine ». Le lectorat est non seulement embarqué dans des histoires de coeurs, dans des combats prodigieux et éclatants, mais il reçoit aussi des leçons de vie.
Instruction déguisée sous l’allégorie de l’action
Les différentes éducatrices, Mantora, Matia, Benimar, dame Nidor… n’apprennent pas seulement aux jeunes gens de l’Union à combattre, à cultiver leurs dons, elles leur inculquent aussi des valeurs comme la persévérance, la solidarité, l’humilité. Le respect des différences culturelles, physiques s’impose au fil des pages dans une argumentation indirecte donnant à voir, en insistant sur l’esthétique du corps différent, une société composée d’une population bigarrée : beauté féminine aux « cheveux d’un blanc lumineux » de dame Nidor, aux « cheveux rouges » de Matia, « verts » de Philis, peaux aux pigmentations multiples remplies de séduction : « Sa peau jaune, une rayure verte au niveau du ventre, des taches rouges autour du cou formant un collier ainsi que de magnifiques taches bleues qui parsemaient son corps, étaient un enchantement pour les yeux »… Ce qui peut être perçu comme un handicap n’entraîne pas le rejet, l’horreur ou la pitié des interlocuteurs : « (…) le haut de son crâne arrivait aux cuisses de la plupart des habitants. Mais ceux-ci s’écartaient avec naturel sans marquer ni de pitié ni d’intérêt, comme avec tous les autres peuples de passage à Tarod ». Dans l’univers de Tarod, on est toujours dans le respect, dans l’absence de jugement. On accepte l’Autre quel qu’il soit, d’où qu’il vienne. La différence est une richesse. Un bel exemple de tolérance pour les jeunes lecteurs, citoyens de demain.
L’écriture esthétique et parfois poétique de l’ouvrage Les montagnes rouges, son tempo rapide et emporté, ses actions multiples, ses nombreuses péripéties, ses divers personnages dont le caractère évolue au fil des pages, des personnages créateurs d’attraction ou de répulsion, la place importante attribuée aux femmes, se conjuguent pour le plus grand plaisir des lecteurs de tous âges. Cette saga qui relève de toute une rythmique mériterait une adaptation télévisée ou cinématographique.
C’est avec impatience que le lecteur attend la suite de ce passionnant récit.
(1) Pour avoir davantage d’informations, consulter ma chronique : Les Amazones. Livre 1 : Le tournoi de la rose
(2) Comme le faisait Gilles de Rais, Mantrax appelle les enfants à la voix cristalline des « rossignols ».
0 commentaires