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Legarçon

4/12/2001 | Livres | 0 commentaires

Legarçon
Richard Morgiève

Le Serpent à Plumes, 2001
collection motifs

(par Annie Forest-Abou Mansour)

Legarçon (en un seul mot) de Richard Morgiève est le récit à la première personne d’un enfant des rues : un enfant d’une dizaine d’années qui donne à voir de façon sommaire sa « sous-vie ». Cet anti-héros ne possède ni nom, ni prénom, ni qualités morales ou psychologiques valorisées par notre culture. Marqué par aucune émotion profonde, ses sentiments comme ses pensées sont sommaires. Dépourvu d’éducation, de modèle éducatif, cet enfant ne connaît qu’un monde de débauche, de dépravation, de  » détraquage « . Sans identité, sans visage, sans passé, il n’existe vraiment pour personne. Sans mémoire, sans  » moi  » véritable, n’ayant jamais aperçu son reflet dans un miroir, il n’a pas conscience de lui-même. Il est un  » chien  » doté de « pattes » et de « griffes ».

Le discours réaliste de cette autobiographie fictive pourrait se définir au premier abord négativement comme un non-style. Pourtant, à regarder attentivement le texte, le lecteur découvre des effets qui créent l’illusion de la réalité. La litanie de mots crus et vulgaires qui circulent dans cet ouvrage restituent la vie de cet enfant dans toute sa spécificité et sa particularité concrète. Dans ce texte où la mise en page évoque un poème, le romancier met en oeuvre toute une série de moyens stylistiques et lexicaux pour donner une littérature qui adhère au réel vécu par l’enfant. Le narrateur ne respecte ni la ponctuation, ni la syntaxe, ni la grammaire. Il omet constamment les majuscules :  » ils roulent depuis la ville sans parler. si ludo est de bonne humeur il donne une cigarette. la cigarette dans la bagnole le noir c’est un moment de bien. les autres bagnoles passent filent freinent vont le garçon a toute sa sous-vie dans la cigarette.

des fois il y a le petit cirque….. « 

Le vocabulaire qui est souvent scatologique et pornographique provoque le dégoût et l’écoeurement. Nous sommes loin, avec Legarçon de la conception classique de la littérature qui insiste sur l’élégance linguistique. Dans ce type d’ouvrage, l’élégance nuirait à l’authenticité. Ici, les commentaires explicatifs ne sont pas nécessaires. Les courtes phrases brutes, souvent inachevées, suffisent. Ce style colle à la réalité humaine et spatio-temporelle vécue par legarçon qui ne s’analyse pas. Il subit toujours et agit peu. Et ces événements nous transmettent avec économie quelques traits de sa personnalité.

Ce roman réaliste est paradoxalement dépourvu de précisons spatio-temporelles précises. Il ne possède pas d’arrière plan historique et politique. Nous ne connaissons ni les lieux, ni l’époque où se déroulent les événements. L’enfant a oublié son passé et ignore le présent dans lequel il vit. Le texte ne possède aucun détail inutile. La fonction esthétique de la description est absente, voire désintégrée. Pourtant ce discours transcrit le réel insoutenable que vit Legarçon et met le lecteur en contact immédiat avec cet univers sordide, scabreux et scatologique sans l’entraîner dans une activité fantasmatique, ce qui explique l’absence de tout voyeurisme. Il s’agit d’un roman réaliste dans la « sous-vie  » triviale qu’il donne à voir. Mais aussi dans la manière où il le fait. Le texte épouse ce qu’il décrit : un univers dépravé, désaxé, dépourvu de justice et de lois. La prostitution d’adolescents, la pédophilie, la pornographie, les meurtres horribles comme l’émasculation et la décapitation du « nouveau » ne sont pas punis.

Heureusement (mais n’est-ce pas utopique ?), un rayon lumineux éclaire la fin, riche de symboles, du roman. Après toutes ces épreuves, une plongée dans une eau purificatrice, une mort symbolique, le jeune homme qu’est devenu l’enfant accède à un autre monde, celui de la vie :  » il est de l’autre côté. du côté vie. celui qui n’est pas mort ne peut revivre « . Il découvre enfin la liberté, « pour être libre. vraiment libre. iI fallait que je meure « , et l’Amour de l’autre.

Une fois le dégoût, la répulsion des premières pages passées, le lecteur accède très vite à un second niveau de lecture et découvre que l’espoir existe malgré tout pour ces enfants maltraités, violés, vendus à des pervers avides de sensations différentes.

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