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Le pouvoir des mots

28/05/2008 | Livres | 0 commentaires

Le vol de l’ibis rouge
Maria Valéria Rezende

traduit du brésilien par Leonor Baldaque
Editions Métailié, 2008

(par Annie Forest-Abou Mansour)

Rosalio, un jeune travailleur analphabète, « vêtu de tristesse grise », tourmenté par « une faim de l’âme », « une faim de mots », mène une vie terne dans un univers tout aussi sombre et vide, sans avenir, sans espoir : « …pas un être vivant, pas une fourmi, une odeur de néant, les murs de planches sèches et grises, les monticules de gravier et de sable, gris, l’énorme ossature en béton armé, sans couleurs, les édifices interdisant tout horizon, un plafond lourd, gris et bas, touchant le haut des immeubles, chape de nuages de plomb (…) ». Partout où il va, Rosalio transporte avec lui sa « boîte à histoires » remplie de vieux livres usés offerts par un Indien. Son plus grand rêve est d’arriver à les lire. Pour cette raison, il recherche de façon incessante des lieux d’apprentissage. Sa rencontre avec Irène, une prostituée fatiguée, atteinte du sida, dont la « vie n’a qu’une porte, qui donne sur le cimetière », va l’aider à réaliser son rêve. Irène introduit la couleur dans son existence et brise leur solitude. Les mots les unissent et donnent de la saveur à leur vie. Rosalio raconte des histoires à Irène. Irène lui apprend à lire et à écrire. Les mots, véritables héros du roman, les arrachent à la morosité en les introduisant dans un univers coloré et merveilleux. « Raconte pour que je puisse rêver » demande Irène à Rosalio. Les mots salvateurs éclipsent toute tristesse. Ils réconcilient avec la réalité car ils la reconstruisent de façon plus belle grâce à l’émotion partagée. Ils sont pour Irène des cadeaux « que l’homme lui a offerts ». A la faveur des mots, Rosalio n’est plus une simple force de travail, Irène est sauvée de sa condition d’objet sexuel. Tous deux accèdent à l’Esprit, à la Valeur. Le mot purifie, assure la transcendance et la joie.

Un horizon plein d’espoir s’ouvre pour ces marginaux, ces exploités, ces malheureux grâce au pouvoir des mots : « il a planté dans le terrain vague de son âme un germe d’espoir, que lui-même a arrosé, qui a pris racine et qui a poussé ». Les connotations deviennent positives. La couleur envahit le texte. Chaque chapitre s’ouvre sur deux couleurs qui teintent la narration. On passe ainsi du « gris et de l’incarnat » pour arriver au « gris et (à) toutes les couleurs » et finir avec « le bleu sans fin », la couleur mariale. Les références chrétiennes et christiques explicites (« elle a réalisé un miracle, tout comme Jésus-Christ, en le délivrant de son aveuglement, qui est pratiquement vaincu ») ou implicites expliquent cette confiance en un avenir meilleur.

 Cet ouvrage, plein de fraîcheur, aux nombreux récits anecdotiques enchâssés dans la narration, qui mêle la culture populaire brésilienne aux Mille et une nuits et à Don Quichotte est une véritable parabole. Il enseigne au lecteur qu’il ne faut pas rechercher « un faux dieu, l’argent » : la « beauté est dans les yeux de celui qui regarde », l’Amour de l’Autre illumine la vie, les mots sont la Vie : « Pendant mille nuits elle mena le roi par le bout du nez, uniquement par la force des mots, échappant ainsi à une mort certaine ». Il est dommage de n’avoir accès qu’à la traduction du Vol de l’ibis rouge : sans la version originale, le lecteur ne possède que l’âme orpheline du texte.

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