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Le vampire passif

6/07/2004 | Livres | 0 commentaires

Le vampire passif
Ghérasim Luca

(éd. José Corti 2001)

(par Annie Forest-Abou Mansour)


vampire.jpgC’est exaltant de découvrir en ce début de XXIe siècle un ouvrage surréaliste comme Le Vampire Passif, écrit en français en 1941 par Ghérasim Luca, un écrivain roumain. Le lecteur est tout à la fois séduit et courroucé par son écriture sublime, ses concepts parfois irritants, ses photographies déroutantes d’Objets Objectivement Offerts.

 

Dans cet ouvrage hors norme où poésie, réflexions personnelles, analyses, photographies se mêlent, le conscient et l’inconscient se côtoyent et fusionnent même. Les rêves diurnes et nocturnes, la réalité, le désir s’interpénètrent. G.Luca s’approche du continent de l’inconscient, découvre cet ailleurs, ce là-bas, le Mal. Son texte est, par moment, comme l’écrit A.Breton à propos du surréalisme, une « dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation (…) morale » G.Luca accède à l’ambition des surréalistes : aborder l’univers inconscient sans se préoccuper de l’esthétique, de la Morale, du rationnel. Son oeuvre est un message de l’inconscient, du désir. Chez lui, le réel ne possède plus un seul sens, un seul aspect. La tête renversée de la poupée (figure 2) devient sexe. Le réel perd son aspect lisse, lisible, compréhensible. L’anormal devient normal et s’adresse avant tout à l’imagination au détriment du rationnel. Surréaliste, G. Luca abolit les normes établies, suit sa spontanéité, son libre arbitre, agit selon ses désirs et non selon des valeurs littéraires, morales, sociales imposées de l’extérieur. Il brise la routine, nous offre une écriture éclatée, des corps morcelés (figures 5 et 6), torturés (la tête de la poupée, figure 3, mutilée par les lames de rasoir). G. Luca ne joue donc pas seulement avec l’écriture, mais aussi avec le réel, avec les objets qu’il fabrique. Et ces objets s’imposent alors, s’érotisent, révélant comme l’écriture l’inconscient et les désirs de leur créateur. Luca ne voit pas les objets pour eux-mêmes, mais pour ce qu’ils représentent inconsciemment et imaginairement. Il leur assigne un sens nouveau, une valeur différente. Messages de l’inconscient, symboles, les objets provoquent les réactions du donneur et/ou du récepteur. Les objets de Luca, en « bons objets surréalistes » s’opposent aux objets bourgeois, unifonctionnels, captifs d’une dimension morale qu’ils ont à signifier.

Mais les jeux de Luca, sa dérision, son humour ne révèlent-ils pas sa révolte devant la Grande Guerre qui l’a profondément marqué, devant une société dont il refuse les règles ? Ne marquent-ils pas aussi sa tristesse devant un réel violent ?

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