Sélectionner une page

Le Renard sans le Corbeau

28/11/2018 | Livres jeunesse | 0 commentaires

Le Renard sans le Corbeau
Pascale Petit
Gérard Dubois (illustrateur)
Editions Notari (2018)

 

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

 

        image renard sans le corbeau.jpgLa fable et ses animaux humanisés a toujours séduit, – tous les âges, tous les milieux. Jean de La Fontaine, le fabuliste le plus connu, s’est inspiré des apologues de l’Antiquité grecque, romaine et orientale.  Avant lui, la fable appartenait au domaine de la rhétorique. Avec lui, elle entre dans le domaine de la poésie. Selon les règles esthétiques et morales du classicisme, la fable instruit en amusant. Les animaux présents dans ces textes,  métaphores des humains, révèlent avec humour leurs faiblesses  et leurs défauts comme le font ceux de l’ouvrage, Le Renard sans le Corbeau, de Pascale Petit, admirablement illustré par Gérard Dubois.

    Après Florian, Anouilh, Pascale Petit est une héritière originale de La Fontaine. « Le corbeau et le renard »  de ce dernier devient  avec elle, « le renard sans le corbeau ». Ce renard, conforme aux attentes du lecteur est un beau parleur sûr de lui, habile à manier les compliments pour convaincre et persuader son interlocuteur en touchant sa corde sensible : « ‘Oh’ dit le renard, ‘vous avez triste réputation, / on dit que vous n’êtes pas prêteuse, / mais moi, je sais bien que  c’est de la diffamation / et qu’avec moi, vous saurez vous montrer généreuse,  Vous, si jolie, si majestueuse dans vos déplacements / qui me font connaître les plus grands égarements ! / Comme vous avez fière allure ! (…)». Mais  dans les fables de Pascale Petit, le destinataire n’est dupe, il  ne tombe pas dans les pièges de maître Renard, il tourne même en dérision ce dernier.

     Davantage qu’une réécriture des fables, Pascale Petit  en propose  une suite où l’un des protagonistes principaux, le corbeau,  est  absent mais paradoxalement intensément présent : « Maître corbeau ridiculisé ayant juré / qu’on ne l’y reprendrait pas de sitôt. / Il fallait bien – puisqu’il s’était barré / qu’une autre leçon soit tirée bientôt par un autre animal plus avisé des manoeuvres du renard rusé ». Inexistant dans les intrigues de chaque récit, il est présent dans les propos et dans les pensées de tous : « Le corbeau ne viendra plus répondit l’éléphant ». Maître corbeau apparaît aussi dans les dessins de Gérard Dubois, seul, isolé, à la fin de l’ouvrage, en  bas  à droite de la couverture cartonnée vierge, prêt à disparaître, bientôt hors champ, ou dans une position inverse de celle de la fable de La Fontaine :   maître renard  siégeant « sur un arbre perché »  chez Gérard Dubois !  Ou, même, il surgit délicatement dessiné dans un nuage dont il prend  la forme. Maître corbeau suit notre renard comme son ombre ! Au lecteur, observateur attentif,  de le trouver.

     Dans l’ouvrage de Pascale Petit,  les fables sont des récits qui se suivent et  s’enchainent.  « Le zhozhomme et le renard » fait suite à « Les dodos et le renard » : « Je sais qui tu es dit le renard, le dodo m’a parlé de toi». Des formules versifiées, des rimes suivies, le rythme,  rappellent les textes d’origine : « Le renard ayant traîné / au bois tout l’été / se trouva fort dépourvu / Voire – disons le – carrément foutu : quand l’automne fut annoncé »  renvoie à la fable de La Fontaine « La Cigale et la Fourmi » : « La Cigale, ayant chanté / Tout l’Eté, / Se trouva fort dépourvue / Quand la bise fut venue ». Mais l’auteure renouvelle l’écriture des fables  en jouant habilement avec le langage,  tricotant différents registres de langue. Elle use  d’un langage parlé, argotique, familier : « « Allons donc se dit le renard baba », « Oh ! vas-y mollo choupette », « la vache qui pète plus haut que son cul ». Elle glisse des clins d’œil en verlan à la jeunesse du XXIe siècle grande utilisatrice de ce langage : « c’est un truc de ouf, vous êtes trop chelou, / zarbi et disons-le : carrément relou ! ». Elle utilise aussi  des mots recherchés  comme « cornéoscutes » qu’elle fait rimer avec des mots inventés (ostéoscutes »).Pascale Petit actualise avec beaucoup d’humour les suites  données aux textes de La Fontaine proposant plusieurs niveaux de lecture. Elle s’adresse en italiques au lecteur par le biais de remarques amusées et amusantes glissées entre parenthèses : « Et de vite courir / ça peut bien servir / quand on a à ses trousses une tortue allumée / qu’on voulait juste faire un peu marcher ». Les animaux devenus locuteurs,  jugent le récit, émettent des réflexions dans des espèces d’apartés avec  le lecteur sur la façon de composer de l’auteure : « Même si nous sommes dans une fable / il y a selon moi des limites à tout et même à l’imaginable.  Déjà, les animaux qui parlent comme des humains, / moi, je trouve ça chelou, pour le moins ». L’éléphant,  protagoniste de  la fable « L’éléphant et le renard », s’immisce dans la narration : « Et moi, je ne veux pas être mal dessiné ! ». Ces genres de parenthèses, marquées par l’humour de l’auteure,  stimulent l’intérêt du lecteur et établissent une complicité entre lui et la poétesse.

    image renard au pied.jpgChaque texte est accompagné par un esthétique dessin de Gérard Dubois, influencé  (cette remarque n’engage que nous) par Jean-Jacques Grandville, illustrateur du XIXe siècle. Ces illustrations sur un fond marron délavé comme un vieux parchemin, les camaïeux de couleur marron  émeuvent  l’amateur de livres anciens  et séduisent les plus petits avec des animaux vêtus comme des personnages d’autrefois. Ces vignettes aux couleurs douces et tendres, aux détails précis dégagent des temps forts des textes. Le dodo, oiseau disparu, la présence d’un arbre sur chaque dessin, ne sont-ils pas des rappels du corbeau absent et de son arbre ?

    Comme toujours les livres proposés par les Editions Notari sont des objets esthétiques : l’objet livre, Le Renard sans le corbeau,   accède, comme de nombreux autres ouvrages de cette maison d’édition, au statut de « beau livre ». Sublime écrin cartonné rouge éclairé de fils dorés, illustrations à la saveur du temps passé, l’accord intime entre la forme et le contenu, embarquent le lectorat quelque soit son âge dans une expérience privilégiée,  dans un univers esthétique de rêve. Le Renard sans le corbeau, un beau livre à déguster avant de le déposer  bien en valeur sur un rayon de sa bibliothèque ! renard pie en l'air.jpg

0 commentaires