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Le poids du papillon

31/03/2012 | Livres | 0 commentaires

 

Le poids du papillon  
Erri de Luca       
Gallimard (2O11)

 

 

 

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

 

 

 

image le poids.jpgLe récit poétique d’Erri de Luca, Le poids du papillon,  est un hymne à la beauté des Alpes italiennes, un  hommage à la nature. Ce petit ouvrage de  soixante neuf pages aussi léger que le papillon blanc, « pétale battant au vent sur la tête du roi des chamois »,  raconte la relation mortifère entre deux « rois de la montagne » : un vieux braconnier et un   chamois dont le chasseur a tué la mère une vingtaine d’années plus tôt : « Sa mère avait été abattue par un chasseur. Dans ses narines de petit animal se grava l’odeur de l’homme et de la poudre à fusil ». Ces deux seigneurs des sommets rivalisent de hardiesse et d’agilité : « Il avait suivi des cerfs, des chevreuils, des bouquetins, mais plus de chamois, ces bêtes qui courent à la perfection au-dessus des précipices. Il reconnaissait une pointe d’envie dans cette préférence. Il avançait sur les parois à quatre pattes sans une once de leur grâce, sans l’insouciance du chamois qui laisse aller ses pieds, la tête haute. L’homme pouvait aussi faire des ascensions bien plus difficiles, monter tout droit là où eux devaient faire le tour, mais il était incapable de leur complicité  avec la hauteur. Eux vivaient dans son intimité, lui n’était qu’un voleur de passage ». Un  parallélisme constant se poursuit dans tout le texte entre ces deux êtres solitaires. L’homme évolue exilé dans la montagne afin d’échapper à la conversation de l’Autre, vivant une espèce d’expérience des confins, triomphant des éléments comme les chamois agiles. Le chamois, quant à lui,  subsiste, loin des siens : « Il gardait ses expériences pour lui. Ayant grandi sans troupeau ( …) ». Tous deux font face aux infinies splendeurs de l’espace, satisfaisant leurs désirs de beauté, de liberté, d’absolu.  Mais l’un donne la vie à des fils « poussés de ses flancs »,  l’autre sème la mort : « L’homme en avait tué plus de trois cents (…) vendait la peau aux tanneurs, la viande aux restaurants (…) ». Et tous deux s’observent, se narguent, animés par la volonté de l’emporter sur l’autre : « Dans l’ombre, le roi des chamois se moquait de lui depuis des années ». Cependant  l’animal, plein de sagesse,  donne des leçons  à l’homme : « Les animaux vivent dans le présent comme du vin en bouteille, prêts à sortir. Les animaux savent le temps à temps, quand il est utile de le savoir. Y penser avant est la ruine de l’homme et ne prépare pas à être prêt. ». Il lui apprend, bien que trop tard,  le respect de la vie : « La bête l’avait épargné, lui non. Il n’avait rien compris de ce présent qui était déjà perdu. C’est à ce moment-là que la chasse prit fin pour lui aussi, il ne tirerait plus jamais sur d’autres animaux ». Une grandeur exceptionnelle se dégage du  chamois  par la confrontation avec la mort dans ces montagnes majestueuses et gigantesques.  Malheureusement,   dans cette espèce d’irréductibilité de l’existence, la nature deviendra tombeau pour l’un et pour l’autre.
La traduction  poétique de Danièle Valin, empreinte d’une puissante émotion, n’enlève rien à l’âme du texte original.

 

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