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Le Pèlerin

21/12/2013 | Livres | 0 commentaires

 

Le pèlerin 
Fernando Pessoa 
Traduit du portugais par Parcidio Gonçalves  
Edition La Différence, 2013

 

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

 

    image pelerin.jpgLe pèlerin de Fernando Pessoa, paru en 1917, est un conte initiatique qui donne à voir les étapes du cheminement personnel d’un narrateur unique et  solitaire. Ce jeune homme mène  une vie paisible, tranquille, modérée,  dépourvue de tout trouble (« Aucune occupation ne venait distraire mon esprit des charmes propres à l’imagination heureuse des adolescents ; l’amour, avec sa joie insatisfaite, n’était pas encore venu troubler la limpidité de ma vie. Je vivais plus content que joyeux, sans mauvais souvenirs du passé, sans tristesses du présent, sans doutes sur le futur »)  dans une famille aimante et aisée qui le protège des désagréments matériels de l’existence comme l’indique la métaphore :  « l’aisance de mes parents (…) mettai(en)t mon avenir à l’abri des nuages ». Davantage contemplatif qu’actif, il « regarde(…) la vie passer  sans réfléchir à la vie » tout en méditant  « sur les mystères de l’existence ».

    La rencontre « d’un homme tout de noir vêtu » bouleverse  soudainement sa vie. Il ne va désormais vivre qu’en voyageant  sans destination précise, « quelque chose m’attirait hors et loin de moi », faisant l’expérience du vide, menant une vie quasi monacale : « Ma vie à  partir de cet instant, devint pâle et creuse. Moi qui avais tout, tout me manquait. Je ne désirais rien et je désirais tout ». Il vit alors une sagesse toute pragmatique, entouré d’une espèce de mystère fondamental, progressivement en correspondance avec le sacré où réalité et irréalité se conjuguent. Puis il  tombe amoureux, d’un amour platonique et réfléchi,   de jeunes femmes rencontrées au hasard de ses pérégrinations, qu’il quitte bien vite pour continuer sa route. Après chaque départ, il devient de plus en plus triste. N’est-il pas envahi d’une sorte d’ « akedia », la mélancolie qui s’empare des mystiques ?

     Les jeunes femmes semées sur sa route représentent d’abord  les vanités de la vie,  le Plaisir, la Gloire, le Pouvoir, ensuite ses qualités, l’Amour, la Sagesse,  puis la Mort.   Cette féminité rencontrée, chaque fois bénéfique mais énigmatique,   l’aide à franchir des étapes dans sa vie et dans sa quête : quête d’une terre promise, quête de lui-même ? Chaque femme constitue une espèce de rite de passage à accomplir. Quitter chacune d’entre elle ne lui permettrait-il pas d’accéder à la Sagesse, à la connaissance de son être profond et intime ?  La dernière jeune fille aimée « d’un amour sans pareil (…) » en effet  « est sa propre Personnalité. ». Ces rites de passages à accomplir à travers la féminité le dirigent enfin vers le repos et la Tranquillité,  incarnée dans la personne d’un ermite. Et finalement, il retrouve dans un univers d’intense luminosité, d’une lumière dépourvue de chaleur, « débarrassée de tout souvenir de la lumière matérielle »,  l’homme en noir. Cette  lumière singulière dépouillée de toute matérialité n’est-elle  pas la Connaissance totale, l’accès au Salut, le point d’arrivée d’un voyage initiatique dont on ne revient pas ? Le conte ne propose aucune réponse, laissant le lecteur libre de toute interprétation.

     Après un incipit réaliste,  le lecteur est progressivement plongé dans les confins du monde, installé dans un temps mythique, entouré d’une espèce de mystère fondamental, en correspondance avec le Sacré, dans une surréalité de l’impossible.  Ce conte,  qui passe du discours au récit dans le dernier chapitre, sous sa forme réduite, est une création originale, étrange et fascinante.

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