Le Patient du docteur Hirschfeld
Nicolas Verdan
Bernard Campiche éditeur (2011)
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
Le Patient du docteur Hirschfeld de Nicolas Verdan, ouvrage peu conventionnel, évoque le sort des Juifs homosexuels sous le régime nazi : judaïsme et homosexualité, deux tares à éradiquer sous le troisième Reich. Dans ce roman, la fiction se fonde sur le réel. Chaque chapitre s’ouvre sur une indication locale et temporelle précise, quasi journalistique, « Berlin, 28 février 1933 », « Zurich, 2 octobre 1958 », « Tel Aviv, 12 octobre 1958 », « San Carlos de Bariloche, 15 octobre 1958 », projetant le lecteur dans l’action et le vécu passé et présent de personnes ne correspondant pas toujours aux normes imposées par le paragraphe cent soixante quinze du code pénal allemand. Le lecteur revit l’intolérable et ignoble violence nazie non seulement contre les Juifs, les homosexuels, les êtres n’ayant pas le profil conforme aux critères nazis, mais aussi contre les anciens amis du régime, les SA lors de la nuit des longs couteaux, pas encore nommée ainsi par les témoins de la narration : « Pour ces miliciens qui se croyaient invincibles, l’humiliation était consommée. Attachés, jetés en cage, pour ainsi dire, dans ce donjon qu’ils avaient cru imprenable, au sommet du Reich, ils se retrouvaient livrés pieds et poings liés aux SS leurs compagnons de jeu qui allaient décharger sur eux des années de violence contenue ». Après avoir été choyés par le régime, « ces hors-la-loi, patentés par le régime (…), aventuriers, garnements, fêtards, chômeurs, assistés » deviennent sa cible.
Cependant, Le Patient du docteur Hirschfeld n’évoque pas seulement les groupes politiques, il traite aussi des individus. Il s’agit essentiellement dans cet ouvrage de l’histoire d’un membre de la Waffen SS, Karl Fein, qui, en 1933, doit retrouver « une liste comportant près de quinze mille noms ». En effet, le docteur Hirschfeld, l’un des pères fondateurs des mouvements de libération homosexuelle, faisait remplir à chacun de ses patients un questionnaire. Karl Fein doit absolument dénicher ce document compromettant pour lui avant « les enquêteurs de la police secrète », car « les services de renseignements n’allaient pas tarder à visiter l’Institut de sexologie (…) » et « la saisie des listes de patients de Hirschfeld pouvait signifier la fin de sa carrière, voire pire ». Mais ce document a disparu et une vingtaine d’années plus tard, en 1958, il intéresse encore certains membres du Mossad qui ont des comptes à régler avec d’anciens nazis : « jusqu’ici, la chasse aux nazis s’est faite dans l’ombre. Israël, officiellement, ne s’intéresse pas à la poursuite des criminels de guerre, n’ayant pas encore les moyens d’organiser un tribunal pour juger les bourreaux ».Sous le troisième Reich, à proximité des casernes se trouvaient des « clubs pour travestis » et homosexuels où les sous officiers et les soldats de la Weirmarch allaient chercher des compagnons de plaisir. « Rudoph Hess », par exemple, « se faisait appeler Schwarze Maria lorsqu’il sortait dans (ces) clubs ». Et c’est ainsi que « Toute la faune la plus bizarre de Berlin avait passé dans (le) bureau » du docteur Hirschefeld.
Les SS, « les nouveaux gardiens de la morale » procèdent alors à leur « noble tâche de purification »,( non sans avoir essayé de violer pendant leur nettoyage un travesti ! ) et procèdent à des bastonnades, des meurtres, des autodafés : « Richard von Krafft-Ebing, Henry Havelock Ellis, Magnus Hirschfeld, Sigmund Freud, Albert Moll, Helene Stöcker, Wilhem Reich, des auteurs illustres, mais inconnus de cet escadron de purificateurs en culottes courtes, des centaines d’autres noms, inscrits sur la jaquette d’une immense bibliothèque, près de vingt mille ouvrages, tout un savoir raflé, traîné dans la rue, dans la puanteur des gaz d’échappement et les cris. ». Les êtres humains, la culture sont sauvagement détruits.
Le Patient du docteur Hirschfeld est non seulement un témoignage historique, une dénonciation ironique et réaliste de l’absurdité de la guerre et de la religion qui la légitime : « ah ! qu’elle était belle la famille allemande ! ses enfants blonds couverts de sang, airs beaux, purs, de noble extraction, même dans la boue, la bouche ouverte, cadavres frigorifiés, écrasés, aplatis par les chenilles de char, plus de tête, plus qu’un bras, deux jambes en moins, encore deux jours à vivre, trois heures, extrême onction, le corps du Christ, son sang, Sainte Vierge, tous les saints pour les damnés.» L’antiphrase confère au texte un registre ironique insistant sur le caractère meurtrier, macabre, stupide de cette idéologie. Mais c’est aussi un ouvrage multiple où règne un suspens suscitant l’intérêt et la curiosité du lecteur. En même temps, il milite pour le respect de la différence religieuse, sexuelle, pour le respect de l’être humain, pour la liberté de penser prouvant que les « dignitaires du Reich craignait(…) (l)es livres (…) parce qu’ils étaient porteurs d’une affirmation individuelle, parce qu’ils mettaient en avant la singularité de l’être, l’indépendance de l’âme et de l’esprit, parce qu’ils isolaient le lecteur du groupe, parce qu’ils éveillaient sa résistance à toute forme d’endoctrinement de masse. » Il dénonce le sionisme : « (…) je ne crois pas que le sionisme délivre un jour notre peuple de ses souffrances. (..) Parce qu’en Palestine les Juifs font une erreur magistrale en menaçant le territoire des Arabes. », il prône la paix entre les peuples : « les Juifs n’auront pas la paix tant qu’ils ne feront pas la paix avec les Arabes Nous n’arriverons à rien par la force. Au fond (…), je ne crois qu’à la cohabitation entre les peuples. ».
Le Patient du docteur Hirschfeld de Nicolas Verdan révèle au lecteur une vérité historique encore peu connue du grand public, lui permettant ainsi de s’ouvrir à l’Autre, au différent. Ce livre qui capte parfois l’indicible est avant tout un message d’amour à l’égard de l’humaine condition.
Le site de Nicolas Verdan: www.nicolasverdan.ch
Magnus Hirschfeld, né le 14 mai 1868 à Kolberg, aujourd’hui Kołobrzeg, mort le 14 mai 1935 à Nice, est un médecin allemand, sexologue, et l’un des pères fondateurs des mouvements de libération homosexuelle.
Son nom comme imprimé sur la couverture du livre que vous critiquez s’écrit Hirschfeld avec un seul E !
Merci de votre remarque.
Une pensée philosophique…
« Ce livre qui capte parfois l’indicible est avant tout un message d’amour à l’égard de l’humaine condition ».
D’aucuns en effet pourront avoir de « l’amour » pour l’humaine condition. Je respecte cela et j’admire une telle force intérieure. Il fut un temps où j’aurais pu dire la même chose : « j’ai de l’amour pour la condition humaine ». C’était peut-être au temps de ma jeunesse . Maintenant que celle-ci est passée, j’ai le sentiment de n’avoir rien vu évoluer de cette condition humaine, j’ai le sentiment que rien n’a changé, que l’Homme ne change pas, qu’il est et restera toujours le même. En conséquence, il m’est impossible d’avoir de « l’amour » pour la condition humaine.
Maintenant, j’aimerais poser une question connexe :
Où est la conscience ? Pourquoi l’animal a-t-il un jour acquis une conscience ?
Des premiers temps de l’hominidé jusqu’au temps d’Homo Sapiens, rien n’a changé de la condition humaine…alors pourquoi tout cela ? pourquoi la conscience a t-elle émergé un jour ?
Joëlle Ramage