Le monde gris
Galsan Tschina
gtraduit de l’allemand (Mongolie) par Dominique Petit
Editions Métailié, 2004
(par Annie Forest-Abou Mansour)
Lire Le monde gris, autobiographie romancée de Galsan Tschinag, c’est plonger dans le monde magique des esprits avec lesquels dialogue le jeune narrateur. C’est s’embarquer vers un ailleurs poétique fascinant et étincelant comme la neige glacée du Haut Altaï : «C’est un hiver d’une clarté de glace, il brille de tous les côtés de l’Altaï…» Le monde gris, message d’espoir malgré les tourments et les peines, est un hymne d’amour à la nature belle et sauvage : « Agitant ses nageoires claires et frémissantes, le fleuve guide ses eaux teintées de vert et de rouge dans son lit étroit et sinueux ». Mais malheureusement, les chefs du parti donnent l’ordre de s’attaquer à cette nature vivante, sensible, dotée d’esprits. « Ils assassinent l’arbre (…), un frère.» Agressée par l’homme inconscient, la nature se révolte et se venge : « O Mère Terre blessée et humiliée, je percevais tes gémissements et tes cris de douleur, je sentais venir ta secousse révoltée ! »
Les chants lyriques et panthéistes du jeune chaman constituent une critique indirecte mais claire au refus de la différence et au totalitarisme. L’enfant à travers les yeux duquel nous voyons le monde dénonce les dictateurs agresseurs qui poussent à l’hypocrisie. A la mort du maréchal Horloogijn Tchoïbalsan, « Il ne faut pas oublier que le Parti a des yeux partout : si quelqu’un ne partage pas le deuil national illimité, on se demandera pourquoi ! ». Il faut donc « s’arracher des larmes », pour ce faire, « il suffit d’imbiber son mouchoir de jus d’oignon et de s’en tamponner les yeux à chaque fois qu’il faut pleurer ».
L’hypocrisie règne même chez les chefs du parti. Ces derniers tentent violemment de supprimer les superstitions et les croyances, mais ils font appel aux pouvoir des chamans pour guérir leurs proches malades. Le parti pervertit les valeurs et ne suit pas les consignes imposées au peuple.
Ce véritable poème en prose, instructif, permet de pérenniser dans l’esprit des lecteurs – et espérons le aussi dans la réalité – les traditions du peuple touvin en voie de disparition.
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