Le livre d’Hanna
Geraldine Brooks
Traduit de l’américain par Anne Rabinovitch
Belfond, 2008
(par Annie Forest-Abou Mansour)
« le fait d’être un homme compte plus que d’être juif, musulman, catholique ou orthodoxe »
Le livre d’Hanna a pour principal héros un livre sacré, appartenant à la communauté juive, la Haggadah. La narratrice, une jeune australienne passionnée de livres anciens, entretient avec l’objet livre des rapports quasi charnels : « Chaque fois que j’ai travaillé sur des objets beaux et rares, ce premier contact a été une sensation étrange et puissante. Comme de frôler un fil sous tension et en même temps, de caresser la nuque d’un nouveau-né. » Elle est réveillée une nuit, à deux heures, par Amitaï, un spécialiste des livres sacrés juifs. Il lui apprend qu’elle a la chance incroyable et inattendue d’être chargée de « travailler sur l’un des volumes les plus rares et les plus mystérieux qui existent au monde », la très ancienne Haggadah de Sarajevo, «un manuscrit hébreu orné de magnifiques enluminures, fabriqué à une époque où la croyance juive était fermement opposée à toute iconographie ».
Ce minutieux travail emporte la narratrice et le lecteur dans le passé à la découverte des hommes qui ont créé, protégé et sauvé ce bel ouvrage sacré. Et en se fondant sur le réel, Géraldine Brooks brode l’histoire du livre et des personnages qui ont traversé les siècles, affrontant de multiples dangers, naturels et humains, échappant à l’inquisition espagnole, vénitienne, aux autodafés nazis : « En liant l’imagination à la recherche, je peux quelquefois me mettre dans la tête des gens qui ont fabriqué le livre. Je peux arriver à comprendre qui ils étaient, ou comment ils travaillaient. ». Elle reconstitue la genèse de la Haggadah : des êtres disparus depuis des siècles renaissent et revivent sous les yeux du lecteur grâce au pouvoir des mots : « Je voulais (…) faire revivre le peuple du livre, les différentes personnes qui l’avaient fabriqué, utilisé, protégé (…) J’essayai de ressusciter la « convivance », les soirées poétiques d’été dans de beaux jardins à la française où les Juifs parlant l’arabe se mêlaient librement à leurs voisins musulmans et chrétiens ».
La pensée de la narratrice oscille constamment entre le présent et le passé. Après chaque découverte – une tache de vin, un poil blanc, une aile d’insecte… cachés dans l’objet précieux –, elle remonte vers les origines de la Haggadah et la donne à voir dans toute sa somptuosité : «l’image scintillait. (…) A l’intérieur d’une page, le peintre avait créé un monde de vie et de mouvement (…) En regardant la miniature, on entendait le bruissement de la soie et le friselis du damas royal tandis que la foule tourbillonnait autour du jeune marié royal. » Le lecteur est submergé par le sensible. Il peut éprouver sensoriellement et poétiquement l’esthétique de la Haggadah.
Géraldine Brooks conjugue ses talents de poète, de romancière, d’érudite et de journaliste pour entraîner le lecteur non seulement dans un univers de fiction mais aussi dans notre société remplie de violence, de haine et, fort heureusement aussi, d’espoir. Elle montre que quelque soit l’époque des persécutions, les hommes de différents communautés sont capables de tolérance. En 1940, par exemple, une famille musulmane de Pristina sauve Lola, une jeune juive de Sarajevo, puis la Haggadah : « Nous abritons déjà une Juive, et maintenant un livre juif. Tous les deux sont activement recherchés par les Nazis. Une jeune vie et un manuscrit ancien. Très précieux l’un et l’autre », déclare Sérif, un Albanais musulman, à sa jeune épouse. Le positif finit toujours par l’emporter pour qui sait l’appréhender.
Tout en travaillant cet objet esthétique, fascinant et quasi magique, Hannah s’immerge dans son propre passé. Elle exhume ainsi ses origines, comprend les relations conflictuelles entretenues avec sa mère. Cette immersion dans le passé jette un éclat lumineux sur son présent : elle rencontre l’amour avec Ozren Karaman, un Bosniaque, directeur de la bibliothèque du musée de Sarajevo, qui, lui aussi, a risqué sa vie pour sauver la Haggadah.
Le livre d’Hanna mêle suspens, poésie et humour. Il ne nous raconte pas seulement l’histoire d’une pluralité d’époques et de personnes. Il lance aussi un message de tolérance et de solidarité en prouvant que « le fait d’être un homme compte plus que d’être juif, musulman, catholique ou orthodoxe » et que le respect des livres va de pair avec le respect des êtres humains.
Je viens de terminer ce livre d’une auteure que je ne connaissais pas et je dois dire que je n’ai pas été déçu.
Quel travail de recherche et d’écriture!
Une histoire? Non, des histoires dans un seul roman et toutes intéressantes et prenantes.
Un très bon bouquin!