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Le Diamant du Gange

18/06/2021 | Livres | 2 commentaires

Le Diamant du Gange
Henri Sacchi
Editions Baudelaire (2021)

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

Le diamant du GangeAvec le Le Diamant du Gange, Henri Sacchi plonge le lecteur dans le Paris  et l’Inde britannique de la fin des années 1920.  Ce roman réaliste d’aventures et de mystère  richement et rigoureusement documenté fournit de nombreuses informations sur ces lieux et  les personnages historiques qui les ont hantés.

Les cahiers bleus

Comme à la fin du dix-septième siècle où les faux mémoires connaissaient une vogue grandissante, le narrateur évoque dans l’avant-propos de l’ouvrage une série de cahiers bleus découverts en 2005 : « recueil de souvenirs et d’anecdotes glanés par Victor au cours de ses nombreuses missions  à l’étranger ». Ce procédés habile  fait attendre une histoire véridique à laquelle le lecteur croit d’emblée, toutes les aventures vécues par les personnages semblant en effet réellement se passer sous ses yeux.  Victor Lempereur, le héros principal,  « un grand et beau jeune homme aux cheveux blonds, à la fine de moustache et aux yeux clairs »  a rassemblé ses souvenirs dans ces différents cahiers, chacun ayant ensuite donné naissance à un ouvrage.  Dans Le Diamant du Gange, Victor Lempereur est, une fois de plus,  l’’enquêteur principal d’une grande Agence de police privée, le C.R.E.P. .E.  Jeune homme intelligent, vif d’esprit, intrépide, il est donc appelé à mener une nouvelle enquête en Inde.

l’Œil d’Akbar

Un Anglais, Ashley Sutton Forbes, « représent(ant) les intérêts de la maison Rathcliff&Hill », – fournisseurs agréés des cours royales britanniques, créateurs de bijoux et négociants de pierres précieuses-, demande au C.R.E.P. .E de retrouver l ‘Oeil d’Akbar, un  « des plus beaux diamants du monde », disparu  mystérieusement depuis un trentaine d’années. Nombreux sont ceux qui recherchent la précieuse pierre  « hors norme (…) invendable » vue son immense valeur,  mais aussi et surtout parce que  parée de nombreuses vertus. Ce diamant est « le symbole du pouvoir des princes qui le détiennent. La légende dit qu’il ouvre les portes de la suprême connaissance et écarte les maléfices ». C’ « est un concentré des rêves de toute l’humanité ». Clifford Cantor, un Anglais, soupçonné d’avoir dérobé le diamant en 1897 avant le jubilé de la Reine Victoria,   aurait été aperçu, peu de temps auparavant,  à Khodapur en Inde.  Victor Lempereur, « un des meilleurs agents » du C.R.E.P. .E  est chargé d’enquêter et  de retrouver le joyau afin de le restituer à  la cour d’Angleterre.

Une périlleuse enquête

Durant la recherche de la merveilleuse pierre, Victor se heurte à de multiples dangers, vit de nombreuses aventures.  Son départ pour l’Inde est en déjà une. Afin de gagner ce sous-continent dans les plus brefs délais, le passionné  d’aviation, ravi,  participe au premier vol expérimental  intercontinental  entre Londres et Delhi, à bord  de l’Armstrong Whitworth Argosy I. A peine arrivé, à Delhi il échappe de justesse à la mort. Un bloc de pierre est jeté sur lui :  « Victor, éberlué, eut juste le temps d’apercevoir un énorme bloc de pierre qui éclata sur le sol avec un bruit mat et souleva un nuage de poussière à l’emplacement exact où il s’était tenu l’instant d’avant ». Un peu plus tard, des coups de feu sont tirés contre la voiture qui le conduit  à une partie de chasse au tigre. Il rencontre non seulement de nombreux  dangers, mais aussi de doux plaisirs avec la belle et élégante Veronica Moore qui lui apporte sa précieuse aide.

Un réalisme social et historique

 Outre Victor, héros sympathique,  à la personnalité bien marquée, de nombreux personnages caractérisés avec précision peuplent Le Diamant du Gange. Même les personnages fugitifs croisés par Victor sont décrits de façon pittoresque, ancrés dans la réalité indienne, plongeant le lecteur dans un ailleurs exotique : « dans les plaines sans végétation, dans les savanes et les champs arides, où les femmes cheminaient, une jarre sur la tête, où les paysans s’échinaient dans la poussière, derrière des vaches blanches squelettiques qui tiraient des charrues en bois, et où le temps s’écoulait au rythme lent des chars à boeufs ». Faisant émerger toute la réalité du lieu, les silhouettes se détachent, données à voir par un détail caractéristique, « une jarre sur la tête », mises en scène dans leur labeur quotidien dans des terres miséreuses et poussiéreuses dont l’aridité  est matérialisée par les vaches blanches squelettiques.  Le quotidien du peuple  s’impose avec réalisme  : « Ruisselants de sueur, ils arrosaient la viande de beurre clarifié ou la farcissaient de piments forts et de gingembre ». Sa  misère s’oppose à l’opulence du maharajah et de la maharani.  Vivant dans de somptueux palais  richement décorés, colorés et lumineux, (« Dans l’immense vestibuleau sol marqueté de marbre blanc et de pierres de couleur, entouré de piliers en fonte, la lumière filtrait à travers une verrière ornée de paons et de fleurs multicolores »),  les souverains se nourrissent de plantureux mets, « Sur le long buffet décoré de soucis et de guirlandes dorées, étaient posés six immenses plats, contenant chacun un mouton rôti, les pattes en l’air, farci d’un mélange de riz et de légumes, agrémenté d’oignons, de raisins secs et d’ail. Des poulets entiers et des œufs durs étaient enfouis dans la farce. De saumons luisaient au milieu de sauces bigarrées », tandis que le peuple souffre de la faim et de la  misère : «les mendiants et les enfants décharnés fouillant les tas d’ordure, les familles installées dans les collecteurs des fossés, la vaches étiques qui piétinaient dans leurs bouses (…) ». Ce pays de contrastes, sous la tutelle des Britanniques, est de surcroît secoué de mouvements revendicatifs, de manœuvres de groupuscules et de complotistes prêts à tout pour réussir.  A la fiction, le narrateur mêle des personnages réels, historiques comme Lindbergh,    Gandhi… Le Matmatah au service de la non violence et des plus démunis, à la personnalité et la silhouette dessinées en quelques coups de crayons précis  sillonne les routes de l’Inde et le texte : « Sa petite taille, son crâne chauve, ses bras  et ses jambes disproportionnés par rapport au torse, son nez épaté au-dessus d’un filet de moustache grise, ses oreilles décollées et sa démarche claudicante le faisaient ressembler à un ibis ». La connotation négative de « disproportionnées », l’animalisation, (« ibis »)  en  font presque une présentation  caricaturale tout en donnant cependant à voir de façon véridique la stature légendaire de l’apôtre de la non-violence.

Des commentaires, des explications historiques, des notes en bas de page,  (« Cinq souverains indiens seulement avaient droit au suprême honneur des vint et un coups de canons : le nizam de Hyderabad ainsi que les maharajahs de Mysore, de Badora, de Gwalior et du Jammu et Cachemire »), donnent une assise référentielle au récit. Ils en deviennent les garants de  son authenticité. Des termes indiens, (« Sahib », « namastè », »shikari », « burra Khana », «achkans », « shigram »…), la sensation de chaleur excessive et suffocante, les descriptions  esthétiques de décors  (« Les jades, jaspes, agates, cornalines, lapis-lazuli et autre pierres incrustées dans le marbre blanc renvoyaient maintenant de teintes pastel de plus en plus veloutées : safran, orangé, rose pâle, parme, violine. chacune à son heure accentuait la majesté du mausolée, manifeste d’amour de l’empereur Shah Jahan pour son épouse Mumtaz Mahal ») ancrent l’histoire dans la réalité indienne,  comme au tout  début du roman des objets marqués temporellement (« TSF »« monoplan »), des  silhouettes croquées dans leurs vêtements  d’époque («policiers en pèlerine »,  hommes « bérets sur le crâne, pinces à vélo au bas du pantalon ») ancrent le texte dans le Paris des années folles.

Dans Le Diamant du Gange, Henri Sacchi offre au lecteur un récit d’aventures trépidantes et angoissantes ancrées dans la société  du début du XXe siècle et dans  l’Histoire donnée à lire de façon explicite et implicite, au détour des phrases, par de nombreuses références historiques. L’auteur glisse aussi des clins d’oeil  littéraires faisant  ainsi de l’ouvrage une œuvre totale : « Il remarqua alors un détail auquel il n’avait jusqu’alors pas prêté attention : tel l’albatros de Baudelaire, le conquérant du ciel, qui caracolait au-dessus des nuages, foulait le sol en claudiquant ».  A l’image du prince des nuées,  dès qu’il touche terre,  l’audacieux aviateur perd sa belle prestance et son agilité sublime. Le tempo rapide de la narration, le suspense, le jeu des couleurs, des sons, des odeurs, des images,  l’écriture précise, claire et souvent  poétique de l’écrivain embarquent le lecteur dans un véritable maelstrom,   dans un dépaysement des sensations, dans une rêverie fabuleuse, dans l’angoisse du mystère tout en enrichissant ses connaissances sur l’Inde et le Paris des années 1920. « Placere et docere », telle semble être la devise d’Henri Sacchi.

2 Commentaires

  1. SACCHI

    Bonjour,

    Je vous remercie très sincèrement d’avoir commenté aussi favorablement mon ouvrage « Le Diamant du Gange »

    Bien cordialement

    Henri SACCHI

    Réponse
  2. AnnieMuse

    Lire et chroniquer votre ouvrage a été un plaisir pour moi.

    Annie

    Réponse

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