Le bigorneau fait la roue
Hervé Pouzoullic
Editions Anne Carrière (2016)
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
Le titre du roman d’Hervé Pouzoulic, Le bigorneau fait la roue, donne d’emblée le ton. L’humour du personnage principal et de son créateur l’emporte en effet pour la plus grande joie du lecteur. Loin de se prendre au sérieux, Hervé Pouzoullic éprouve autant de plaisir à écrire son ouvrage que le lecteur à le lire. L’écrivain embarque son lectorat dans un récit à la première personne qui constitue une quête ludique engageant des valeurs essentielles de l’existence : trouver un sens à sa vie et rencontrer l’Amour.
Marc Polovic, le bigorneau et le narrateur, est un étudiant de vingt deux ans, d’origine bretonne. Immature, rêveur, doué, mais peu sûr de lui, il échoue à ses examens universitaires par manque de travail. Peu satisfait de son enveloppe corporelle, (« oui, j’étais moche ! Mais les mots me servaient de lunettes noires et de crème de beauté. Je me tartinais de Courteline en guise de Biactol, de Beaumarchais au lieu de savon surgras Rogé Cavaillès ») il a très tôt pallié à son physique ingrat et compensé son absence de sens de la répartie en se plongeant dans l’apprentissage des auteurs et en citant romanciers et dramaturges : « Je me droguai aux romans, me piquai aux nouvelles, sniffai de la poésie. Très vite, les bons mots des Grands giclèrent en rafales. Je braquais mon entourage avec Voltaire, tirais au canon avec Scarron, dégoupillais des alexandrins et faisait tout sauter, moi compris. J’étais le Rambo des bons mots ». Pourtant malgré son humour et ses belles phrases, à vingt deux ans, à son grand désespoir, il n’a pas encore rencontré l’amour.
Las de n’avoir « jamais passé plus de trois jours avec une fille avant qu’elle ne (le) quitte », en se fondant sur l’exemple de ses parents, il conclut que l’incompréhension est le secret de la durée d’un couple. Il décide alors de trouver l’amour à l’internationale : « (…) l’incompréhension au sein du couple est l’essence même de l’amour durable. Les Françaises ayant tendance à me comprendre et me plaquer au bout de trois jours, je tomberai donc amoureux… à l’international ! ». Cette solution semble en effet la meilleure pour lui. Marc va d’abord vivre une merveilleuse histoire d’amour avec une jeune et jolie italienne, Veronica. Malheureusement, au bout de seize mois, une rupture advient. Puis après un long temps de souffrance, ayant un peu mûri, obtenu son diplôme, papillonné dans le monde du théâtre, il décroche un travail qui lui offre l’opportunité de se partager entre la France et les USA. Il rencontre alors le sublime docteur Karol Krusel, « une jeune femme américaine, oncologue de formation, MBA Harvard, de sept années (s)on aînée ». Il entretient avec elle une relation amoureuse de deux ans. Mais « un délit fédéral » va entraîner la séparation des deux amants. Ensuite, il lie connaissance avec Vassilia, une Russe superbe et magique.
Chaque rupture entraîne le désespoir du jeune homme fort sensible. Huit mois de souffrance concrétisés par le leitmotiv, « Dévastation, sevrage, intériorisation, rage, relèvement » sont nécessaires à Marc pour se relever de ses peines et recommencer à vivre.
Malgré ces pathétiques ruptures, l’humour domine dans l’ouvrage. Les comiques de mots, de situation, de caractère se tricotent. L’écrivain joue sur le caractère de son personnage (« Au rythme où j’avançais, Veronica serait ménopausée avant que je sois diplômé »), sur les situations (« (…) je venais de sacrifier ma virginité sur l’autel d’une démarche militante. Mon premier rapport sexuel se présentait comme un acte politique non consenti ! »), multiplie les jeux de mots comme les zeugmas : « Nos yeux s’emplissaient d’horizon et nos narines de sel », engage des dialogues savoureux, (« – (…) Je dis juste que nous n’aurions rien contre, ton père et moi, si tu nous ramenais à la maison, comment dire … une Bretonne ou une Normande. /- Vous voulez une armoire ? »). De même, ses diverses remarques (« ma connaissance de la littérature américaines était aussi développé que les biceps d’Elie Semoun ») suscitent le rire ou le sourire du lecteur et le divertissent. L’ironie égratigne aussi de légers coups de griffes amusés les touristes (« (…) la Villa Borghèse, Via Pinciania où fleurissent les boutiques de luxe et les Allemands en tongs »), les classes sociales hyper aisées (« Un modeste trois cents mètres carrés pour faire la fête (…) »)… Le sourire l’emporte toujours dans ce roman, avatar du roman d’initiation, où notre bigorneau murit et évolue au fil des pages.
La tendresse, l’émotion ne sont pas absentes de cet ouvrage lorsque le narrateur relate ses souvenirs d’enfance en Bretagne, les liens chaleureux tissés avec une grand-mère aimante et compréhensive qui transmet à son petit-fils la force de grandir et de vivre en lui donnant des leçons de vie et d’amour, « Profites-en pour t’aimer davantage ! Laisse vibrer ton âme, donne-lui la place de grandir et de t’épanouir en toi », en lui communiquant son énergie, « « Ses doigts déformés par la vie et le don de soi prirent mes deux mains dans les siennes et dissipèrent les nœuds énergétiques à l’origine de mes innombrables blocages ». Le narrateur entrelace avec attendrissement le présent et les souvenirs passés. On sent tout une oscillation du « je » entre fiction et réel dans la description des moments vécus en Bretagne. L’écriture devient alors poétique : « Le frêle portail blanc de la maison m’apparut enfin, doucement agité par la brise marine. La nuit tombait, et une clarté diaphane baignait la cuisine dans laquelle ma grand-mère avait passé une grande partie de sa vie. Cette lumière brillait moins fort que par le passé, mais toujours me réchauffait le cœur ». Les adjectifs, les adverbes disent la fragilité, la douceur, le caractère ténu de ces tendres et inoubliables fragments d’existence.
Notre bigorneau, « fort peu héros » (1) à certains moments est en réalité un héros romanesque sensible, humain et cultivé. Une fois son diplôme acquis, il occupe de hauts postes dans des sociétés internationales. Il sait jouer avec ses compétences, citant Shakespeare pour masquer ses lacunes en anglais. « Les Américains déduisirent de ma prestation que j’étais un leader naturel maîtrisant parfaitement l’anglais ». L’intertextualité littéraire, théâtrale, cinématographique, picturale se fait profuse dans de nombreux passages : « là vivait l’acariâtre Thénardière de mon modeste logis », « On aurait dit Joe Pesci dans Casino », « Excellent ! On dirait du Audiard », « (…) un panneau en mosaïque de pâte de verre déclinait le bleu et le jaune comme les vitraux de Chagall de l’église de Tudeley, en Angleterre ». Marc Polovic n’est pas seulement un personnage qui se contente de rêver sa vie. Après s’être heurté à la malchance, à des échecs, il devient acteur de son existence.
Le bigorneau fait la roue d’Hervé Pouzoulic, roman plein de fraîcheur, à l’écriture pittoresque, dynamique, est susceptible de sortir les lecteurs d’un quotidien morose et de redonner bon moral aux déprimés.
(1) Expression prise, comme vous le savez, à Stendhal dans LA CHARTREUSE DE PARME à propos de Fabrice.
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