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L’Attentat

23/10/2013 | Livres | 0 commentaires

 

L’Attentat
Yasmina Khadra
Pocket (2011)

 

 

(Par Elias Abou-Mansour)

 

 Image livre yasmina.jpg   C’est à l’occasion de la sortie du film du cinéaste libanais Ziad Doueiri, L’Attentat, qu’il nous a semblé intéressant de relire l’ouvrage éponyme de Yasmina Khadra.  Sous ce pseudonyme se dissimule l’écrivain algérien Mohammed Moulessehoul. Observateur lucide, il dévoile le dialogue de sourds qui oppose l’Orient et l’Occident. L’Orient rencontre en effet
en Occident incompréhension et méconnaissance.
Yasmina Khadra est à l’affût de l’actualité du monde arabo-musulman.  Comme la question palestinienne reste la blessure palpitante des peuples arabes, il cherche, avec beaucoup de sagacité, à comprendre ce drame à travers les convulsions de colère et de désespoir du peuple palestinien. Son roman, L’Attentat, révèle sa perspicacité, sa clairvoyance et sa tolérance. L’écrivain scrute la profondeur des êtres, interroge des vérités, jauge des idéologies et analyse des clichés. L’Attentat est une fiction qui souligne le drame palestinien avec toute sa violence et sa brutalité à travers la vie d’un personnage Amine Djaafari, un chirurgien arabe israélien, ouvert.
Amine examine la société israélienne sans haine et sans rancœur : « La haine est le vice des âmes étroites ». Il appartient à cette intelligentsia arabe rationaliste, cartésienne qui rejette l’antisémitisme, le racisme, le fanatisme, le sectarisme,  l’obscurantisme et la violence. Respectant  et  prônant la différence et la coexistence des communautés religieuses, Amine dit : « J’ai beaucoup aimé Jérusalem, adolescent. J’éprouvais le même frisson aussi bien devant le Dôme du Rocher qu’au pied du mur des Lamentations et je ne pouvais demeurer insensible à la quiétude émanant de la basilique du  Saint-Sépulcre ». Avec un talent littéraire prononcé, Yasmina Khadra conduit l’intrigue de L’Attentat sur un fond de terrorisme. Le narrateur Amine, médecin arabe, d’origine bédouine, mène une vie parfaitement réussie. Il est heureux et bien intégré dans la société israélienne : « La vie nous sourit, la chance aussi. On aime et on est aimé. On a les moyens de ses rêves. Tout baigne, tout nous bénit… ». Le racisme de quelques collègues bourgeois ne parvient ni à arrêter son ascension sociales ni à lézarder sa détermination à s’intégrer.
Cependant, il suffit d’un instant pour que tout bascule. Sa vie chavire dans un drame incommensurable lorsqu’il découvre que son épouse, Sihem, s’est fait exploser dans un attentat suicide. Cruellement malheureux, inconsolable, Amine est traumatisé d’autant plus qu’il méconnaît tout de la violente dérive fondamentaliste de son épouse. Il se met alors à enquêter sur cette affaire obscure et embrouillée.  Amine veut comprendre comment Sihem a pu commettre un tel acte à son insu, lui qui ressuscite les malades et sauve les vies : « Je ne me reconnais pas dans ce qui tue ; ma vocation se situe du  côté de ce qui sauve. Je suis chirurgien ». Amine, l’Arabe israélien, apparaît alors aux yeux de la société comme un suspect. Il redevient le bédouin méprisé. Son long monologue ne manifeste que défiance et doute.  Il interroge avec incrédulité les preuves et les accusations qui accablent son épouse. De même, il exprime sa haine et sa répulsion contre ceux qui l’ont endoctrinée : « « J’ai besoin de montrer clairement à ce chefaillon d’opérette que je ne le crains pas, de lui renvoyer à la figure la répugnance et le fiel que les énergumènes de son espèce sécrètent en moi. »
Amine rejette les religieux intolérants, sectaires et fanatiques : « Je n’arrive pas à croire qu’un homme censé être proche de Dieu puisse être éloigné des hommes, si insensible à leur peine ». Refusant la violence, l’intolérance, le dogmatisme, il prône la justice parce qu’il est convaincu qu’il n’y a pas de paix sans justice en Palestine.
Yasmina Khadra dans L’Attentat aborde avec finesse et subtilité la totalité du problème palestinien. Il soulève d’abord des questions cruciales, de la plus haute importance pour Israël. Il entre ensuite dans le vif de la cause palestinienne. Israël doit affronter des questions épineuses : les Arabes israéliens ne jouissant pas des droits inaliénables et étant des citoyens de second ordre  peuvent-ils être loyaux à l’égard de l’Etat hébreux ? L’écrivain dépassionne et dépolitise son récit. Il brosse avec recul la vie sociale, politique et quotidienne des Palestiniens.  En effet, Amine,  condamne le mur de séparation qui démembre et morcelle une seule entité géographique et humaine : « Aujourd’hui, surgie d’on ne sait quel dessein pernicieux, une muraille hideuse s’insurge incongrûment contre mon ciel d’autrefois, si obscène que les chiens préfèrent lever la patte sur les ronces plutôt qu’à ses pieds ».
    Selon amine, Israël n’a pas su insuffler l’espoir dans le peuple palestinien. L’humiliation, l’affront, les privations ont semé la haine. « Il n’est pas pire cataclysme que l’humiliation. C’est un malheur incommensurable, docteur. Ça vous ôte le goût de vivre. Et tant que vous tardez à rendre l’âme, vous n’avez qu’une idée en tête : comment finir dignement après avoir vécu misérable, aveugle et nu ? ». La détresse, l’avilissement, les agressions sont donc la matrice de la violence.  Et la mort sordide, selon le narrateur, devient salvatrice. Amine décrit le traumatisme des Palestiniens sous le joug de l’occupation. La mort les a décimés. Le rêve s’est évanoui. « On passe nos soirées à ramasser nos morts et nos matinées à les enterrer. Notre patrie est violée à tort et à travers, nos enfants ne se souviennent plus de ce qu’école veut dire… nos villes croulent sous les engins chenillés… ». Amine comprend le désarroi des siens. Prônant la vie, la paix,  il rejette toute violence. Il n’y a pas de paix sans justice.  
    Yasmina Khadra est un romancier humaniste. Il prend l’homme comme valeur suprême et essaie de le rendre pleinement humain. Dans son ouvrage, l’auteur, ému, éprouve de la compassion pour les rescapés  de la Shoah. Il laisse tomber les clichés. Avec sensibilité, son personnage, Amine, sonde l’âme triste du vieux Yehuda, rescapé des camps de la mort. « Il vit en ermite malgré lui, oublié dans sa maison qu’il avait construite de ses mains, au milieu de ses livres et de ses photographies racontant en long et en large les horreurs de la Shoah. » Amine n’est pas antisémite. Son amitié touchante avec Kim Yehuda est fraternelle. Kim Yehuda lui rend cette amitié qui résiste à toutes les épreuves. Amine prône la fraternité entre les hommes, la tolérance, la compréhension et l’humanisme. Il fait preuve d’une grande intelligence : « Tout Juif de Palestine est un arabe et aucun Arabe d’Israël ne peut prétendre ne pas être un peu juif. Alors pourquoi tant de haine dans une même consanguinité ? ». Il distingue la confession juive et la politique expansionniste d’Israël. En effet, il stigmatise la colonisation, les spoliations des terres, les démolitions arbitraires et la violation du droit des Palestiniens. Amine propose une réflexion sur la violence. Il la réprouve. Il désavoue la violence légale d’Israël et la violence des rebelles. Il reconnaît que la violence est un échec. La sécurité d’Israël passe par la paix, une paix juste, équitable et globale.
Nous pouvons déduire que si les Etats-Unis et les démocraties occidentales, les hérauts de la paix, avaient imposé une paix juste et totale, le monde arabe aurait pu avoir un autre visage, un visage plus éclairé.
Le monde arabe aurait pu extirper ses propres démons : la dictature, le militarisme, l’intégrisme et la violence. La guerre israélo-arabe reste la matrice de tous les maux de la société arabe.
    Yasmina Khadra, écrivain prolixe et avisé, cerne avec perspicacité les problèmes les plus complexes de la société palestinienne et arabe. Son génie créatif et son sens des valeurs manifestent que c’est un grand humaniste.

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