La pizzeria du Vésuve
Pascaline Alleriana
Editons Kirographaires (2012)
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
La pizzeria du Vésuve est un recueil de quatre nouvelles : La pizzeria du Vésuve, Les qualités d’une ville, Le tisseur de rêves, Biographie pacifique qui traitent toutes, de façons variées, de tranches de vie, ancrées dans le quotidien, de jeunes gens venus d’horizons différents et de leur quête de l’amour, de la vie, à travers essentiellement les sensations.
La pizzeria du Vésuve évoque la rencontre de jeunes Irlandais, Italiens, Parisiens, Polonais : Kenneth, le bon élève irlandais, Tracy sa sœur aînée qui devient belle et désirable lorsqu’elle est artificielle : « Elle s’est débrouillée pour naître peu jolie, elle se distingue par des qualités limitées (…) Sauf le mercredi, quand on lui donne son argent de poche. Après le déjeuner, elle disparaît en ville, revient pour le dîner : les cheveux verts, les ongles violets, une néo-camisole –trouée et délavée – portée par-dessus son chemisier brodée. Ravie de son apparence, elle devient charmante ». Marco, l’artiste, dont les photographies présentent le corps morcelé et savamment dénudé de Tracy dont la beauté issue de l’Art et du rêve éclate devant les yeux de Kenneth : « Ces photos représentent des détails. Une courbe. Un arrondi peint de gouttes d’eau (…) » Pascaline Alleriana esthétise et poétise le réel en jouant sur la transposition des sensations (« (…) des doigts qui la regardent, des lèvres qui l’écoutent ») ou lorsqu’elle métamorphose le corps d’Agnès, la Parisienne, en objet d’art, donnant à percevoir ses mouvements, dessinant les contours de son corps, le jeu des couleurs et de la lumière, le frémissement de sa chair : « Ces soirs-là, elle porte des vêtements ajourés. Ils sont ajustés et ils brillent de plusieurs couleurs en même temps : vert et doré, rouge et argenté, noir et doré… un peu comme si elle était à nouveau laquée de peinture à cheveux. Son corps pointe sous le tissu (….) Les lumières glissent sur son corps. Happening, répétition… c’est de la magie. De l’art. (…) Son vêtement –une toile rauque ». Agnès se donne en spectacle dans une danse sensuelle, « Corps léger, jambes lisses, hanches arrondies, dos translucide. Elle s’étire, puis se rassemble. Ses cuisses se dressent fièrement. A genoux sur le lit, elle ondule, son visage détourné du sien. La voix sans paroles déferle sur sa jupe, atténue son chemisier. Peu à peu, la musique la déshabille » éveillant le désir et la fascination de Kenneth.
Cette première nouvelle est placée sous le signe de la rencontre amoureuse, de ses premiers émois : « Niel est amoureux. De madame Alice », de l’alcool, de la nourriture (« des ouvrages divers sur l’art de bien boire et manger en voyage… un art méconnu ») qui procure une jouissance gustative, visuelle, tactile : « Kenneth qui garde un souvenir ému des tournedos au poivre, des bavettes à l’échalote engloutis à quatorze ans ; des assiettes saucées avec le pain de la corbeille – croustillants morceaux de baguette… », mais aussi de la répulsion lorsqu’elle ne correspond pas aux goûts culturels : « Un rein de veau aux échalote./ Il a commandé ça. Il n’y touchera pas. ». Les personnages deviennent même des mets par le biais de la comparaison : « Alice représente un de ses plats préférés (…) » glissant une note supplémentaire d’humour dans cet univers de jeunes venus en France pour perfectionner la langue du pays et qui ne saisissent pas toujours le sens des gallicismes, comme le prouve Niel vexé d’être qualifié de « trop chou » : « Mais on ne l’a jamais traité de « trop chou », de trop légume, on n’a jamais eu cette méchanceté ».
Dans Les qualités d’une ville, les émois de l’amour et la nourriture jouent aussi un grand rôle. Mais les thèmes sont parfois un peu plus pathétiques avec la mort tragique de Delphine dite de façon très concise : «Impact au niveau des cervicales, Delphine n’a pas survécu », la description de lieux sordides d’où se dégage une impression générale de tristesse, de misère, de saleté : « Dans le coude du passage, au bord des bâtiments pentus, les façades suintent l’humidité. L’air y est anxieux. Quelque chose semble subsister d’un passé où il y a eu des la misère, des rixes, du froid, des corvées. La rue doit longer de très anciennes fondations orphelinat, léproserie, pénitencier… ». Malgré tout l’humour s’impose aussi dans cette nouvelle au rythme alerte, allègre crée par d’abondantes phrases nominales, des onomatopées, la parataxe, une économie de moyens grammaticaux : « « Ronk ;.. au snack, Gaétan fait mijoter les frites dans le bac à vaisselle. Mouais, remarque Eude, ça dore modérément ; il les soulève presto. Zou, Gaétan les replonge : fait désencombrer, ronk ! ». La narratrice sacrifie parfois à la pureté de l’expression, la simplicité de la formulation de la jeunesse. Mais surtout ce qui fait l’originalité de ce récit, c’est que le début de la nouvelle prend l’histoire à rebours en renversant la chronologie. On commence le « 10 juillet 1995 » lorsque Gaétan a « obtenu le concours de professorat des écoles » pour arriver « le 10 juillet 1989 » lorsque Gaétan « s’inscrit à la Faculté de Lettres ». Le temps recule progressivement. La différence entre la perception au présent et les souvenirs est estompée. Souvenir et perception sont homogènes, dans une espèce de fondu enchaîné.
Dans Le Tisseur de rêves, on mange aussi beaucoup : des sushis », « sandwich »…, on boit du « vin », du « champagne ». Mais dans cette nouvelle, une impression étrange où affleure le fantastique s’impose rapidement, faisant évoluer le lecteur dans un univers de fantaisie, de tendresse, marqué d’un certain halo de mystère à la faveur de Florent, personnages aux réactions imprévisibles, qui apparaît et disparaît comme par magie.
Biographie pacifique, au titre volontairement ambigu, est la nouvelle la plus émouvante. Anselme Calevin, dont on apprend le nom et la couleur des yeux «mes yeux étaient bleu dense » à la dernière page de cette autobiographie fictive montre un jeune issu d’un petit atoll pauvre du pacifique, sans sombrer toutefois dans le misérabilisme, bien au contraire, puisque l’arrivée progressive du tourisme va donner vie à cette île. Dans cette région éloignée du monde, où la vie est difficile (« je commence à gagner ma vie en récoltant du coprah : je n’aime pas cela. Il faut ramasser les noix mûres sur le sol, les entasser dans une brouette et la pousser en zigzag d’un cocotier à l’autre. Trente cinq noix à la fois, cela évite à la brouette de s’enliser dans le sable »), l’espérance de vie réduite, ce jeune, comme les autres, rêve à l’amour, jouit intensément de l’instant présent. Il exprime un souvenir double : celui d’un paysage atollien luxuriant, dominé par une impression de luminosité, d’éclat et celui de l’image d’une femme, une touriste, jamais nommée, qualifiée seulement par le pronom personnel de la troisième personne du singulier « elle », venue passer quelques jours sur cette petite île magique. Cette femme donnée à voir dans de courtes phrases, qui expriment la sensation brute, (« Femme blonde, aux cheveux courts. Vêtue d’un short et d’un débardeur. Short beige, débardeur bleu, cuisses bronzées, poitrine haute. Elle sourit ») envahit l’espace comme elle envahit l’esprit du narrateur. Son image est placée sous le signe de la beauté, du désir, de l’amour éphémère et impossible. Anselme Calevin conserve toujours l’espoir de retrouvailles avec cette aimée perdue, disparue dans un souvenir lointain : « Elle connaît mon adresse mais elle ne m’écrit pas ».
Ces quatre nouvelles très belles, à l’écriture variée, utilisant souvent un procédé impressionniste donnant le primat aux sensations, révèlent la jeunesse, sa recherche d’une vie intense, ses rêves mais aussi ses désillusions.
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