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Réalisme sordide et recherche esthétique

19/01/2005 | Livres | 0 commentaires

La fille Elisa
Edmond de Goncourt

(Collection Zulma poche, édition 2004)
(par Annie Forest-Abou Mansour)

elsa.JPGAu XIXe siècle, la violence, le peuple et la femme inquiètent. Un discours sur la criminalité s’élabore. Des journaux comme La gazette des Tribunaux, où les écrivains puisent de nombreux exemples, développent la psychose du crime. Le thème de la violence devient une mode littéraire. Victor Hugo, dans Les Misérables, Eugene Sue, dans Les mystères de Paris, Zola dans La Bête humaine, La Terre, chacun à sa façon, s’intéressent aux basses classes sociales et évoquent leur penchant à la violence. Au XIXe siècle, en effet, la violence, le peuple et la femme entrent en littérature. L’éréthisme, l’hystérie, la névrose, tous les détraquements de la femme intéressent les écrivains. Les frères Goncourt, ancrés dans leur époque, n’échappent pas à cette mode.

Dans La fille Elisa, l’aîné des deux frères, Edmond de Goncourt, nous donne à voir Elisa, une jeune femme qui échappe de justesse à une condamnation à mort pour purger une peine de prison à perpétuité, après avoir tué son amant. Le lecteur assiste à sa lente déchéance morale et physique. La jolie jeune femme du début devient progressivement une loque sous l’emprise de la folie :

«Dans la Cordonnerie, Elisa commença à descendre, peu à peu, tous les échelons de l’humanité qui mènent insensiblement une créature intelligente à l’animalité.»

Se voulant non seulement écrivain, mais aussi savant et historien, soucieux du détail vrai, Edmond de Goncourt choisit de décrire un milieu populaire : le monde de la prostitution, le milieu carcéral. Il dévoile une réalité sordide, où la misère génère le malheur et le crime. Le mauvais exemple corrompt Elisa née naïve et pure : « Elisa s’était faite prostituée, simplement, naturellement, presque sans un soulèvement de la conscience . Sa jeunesse avait eu une telle habitude de voir, dans la prostitution, l’état le plus ordinaire de son sexe ! ». Edmond de Goncourt dénonce les effets du milieu et même de la lecture sur la femme du peuple. Il écrit avec beaucoup de mépris : « Chez la femme du peuple, qui sait tout juste lire, la lecture produit le même ravissement que chez l’enfant. Sur ces cervelles d’ignorance, (..) sans défense, sans émoussement, sans critique, le roman possède une action magique.. Il s’empare de la pensée de la liseuse devenue tout de suite niaisement, la dupe de l’absurde fiction. ». Le peuple et la femme appartenant à une « race » différente ne sont pas les égaux des bourgeois et des intellectuels chez Edmond de Goncourt comme chez de nombreux écrivains de son époque.

Le narrateur mêle avec aisance la réalité et la recherche esthétique. Au portrait de Madame, laide et repoussante, avec sa « graisse débordante(…) aux coulées de chair flasque (…) aux reins avachis », il oppose un style poétique lorsqu’il peint des paysages et des décors, comme la description rythmée par l’anaphore du palais de justice : « Par le jour tombant, par le crépuscule jaune de la fin d’une journée de décembre, par les ténèbres redoutables de la salle des Assises entrant dans la nuit, pendant que sonnait une heure oubliée à une horloge qu’on ne voyait plus…. » Edmond de Goncourt fait contraster dans ce petit ouvrage, fascinant pour les amateurs de littérature du XIXe siècle, le réalisme sordide de la misère, du crime, de la folie et la recherche esthétique la plus subtile.

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