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La baraque du cheval noir

9/01/2017 | Livres | 3 commentaires

La baraque du cheval noir
André Gardies
Editions de la différence
(la ligne bleue, 2016)

 

 

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

 

   image baraque.jpg Au cœur du rationnel, de la cohérence, de la logique surgit parfois l’irrationnel. Jacques Torrant, trentenaire divorcé,  personnage principal de La baraque du cheval noir d’André Gardies,  se gardant  bien de  fréquenter  la fiction,  déclare n’écrire que « des livres sur la région », ne pas inventer, « parle ( r ) d’événements réels, un peu comme un journaliste ».  Pourtant  une part de lui-même est attirée par le mystère et le hasard qui surgit souvent dans sa vie attise  sa curiosité. Par le plus grand des hasards, en effet,  dans la salle d’attente de son dentiste, il  déniche « un numéro spécial du PROGRES consacré au Massif Central » et apprend que la Baraque du cheval noir, « La baraque de tous les ressentiments, l’enseigne exécrée par la Mémé »  est à louer. Le hasard ne lui adresse-t-il pas un clin d’œil, à lui qui, de surcroît,  souhaitait quitter Lyon, « (ses) klaxons, trépidations, embouteillages, sifflets de locomotives et haut-parleurs venus de la gare de Perrache près de laquelle il habite »,  pour se consacrer à l’écriture  dans un lieu isolé et paisible ?  N’est-ce pas aussi l’occasion de remonter dans le passé, de se remémorer l’oncle Paul, retrouvé, à proximité de la baraque du cheval noir, dans une tourbière,  de comprendre les causes de sa mort ? Cet oncle chaleureux, un fabuleux conteur qui  faisait naître toute une activité imaginative chez le jeune enfant qu’était alors Jacques Torrant.

     L’oncle Paul devient vite la focale vers laquelle tout converge.  Une tension de plus en plus intense soutient l’intrigue reposant sur sa mort. Plus l’ouvrage avance, moins ce décès  semble accidentel et  plus des événements bizarres, sournois,  surgissent dans le quotidien de Jacques Torrant.

    La baraque du cheval noir s’ouvre sur l’arrivée du protagoniste dans la fameuse maison isolée  située au cœur du Massif Central,  un univers mystérieux où les humains semblent refoulés, dans un univers paysan farouche, hermétique,  aux paysages inhospitaliers, austères, aux arbres « noueux, tordus par le vent, le gel, la rudesse du climat (qui) dansent comme des gnomes sur les pentes moussues », où « des squelettes de pins morts lancent leur moignons blanchis vers le ciel ». Le leitmotiv « le ciel gris et bas » figure un fardeau sombre pesant sur la campagne et sur les hommes,  les  empêchant d’accéder à toute  échappatoire lumineuse et les plongeant dans une ambiance rude où domine une  malédiction : « Dorénavant, depuis là-haut, l’œil immense et noir de la tourbière pèserait sur eux. Malheur à qui s’écarterait du droit chemin. Comme une tombe, la tourbière se refermerait sur lui ». Les paysans finissent par ressembler au  milieu austère et hostile dans lequel ils vivent.  La nature n’est pas un simple décor installant les êtres dans le réel. Elle devient un personnage actif doté d’une personnalité farouche, traître, mortifère : « C’est la grande tourbière du Tremblant, le Trauc qu’on dit ici, qui l’a avalé, monsieur. La vase noire et épaisse de la tourbière qui colle  à la peau, qui vous enveloppe, qui vous étouffe.  (…) chacun pense à ce marécage qui, à la nuit tombante, attend l’imprudent qui s’aventure sur ses bords. ». La tourbière, lieu significatif pour Jacques, qui représente le passé tragique de sa famille,   possède quelque chose de fantastique représentant le guignon, la malchance, le malheur pour l’ensemble des villageois.

 

     Dans l’univers d’omerta du Massif Central,  l’angoisse, la crainte, les superstitions entraînent  un malaise progressif chez  Jacques, personne pourtant rationnelle. Tout le village   braque,  dès sa venue, ses regards sur le nouvel arrivant (« Il sent les regards sur lui. Fermés. Presque hostiles. Qu’est-ce que ça signifie ? »)  considéré comme un étranger pour les  hermétiques villageois. Très vite, les autochtones,  qui paraissent tous cacher un secret,  semblent se scinder en deux camps hostiles : ceux qui fuient Jacques (« Il n’a pas plus tôt porté le verre à ses lèvres que les buveurs commencent à quitter la salle, un par un ou par petits groupes. Sans lui adresser le moindre salut »), refusent de répondre à ses questions, lui créent des obstacles, des nuisances (« Il a déjà sorti ses clés pour ouvrir la portière quand il constate les dégâts : une longue balafre sur tout le côté gauche et l’aile avant légèrement enfoncée. Putain de pays ! Quel salaud lui a fait ça ? »)  et les autres soucieux de le prémunir du mauvais sort comme le papé Vigouroux, le sabotier,  qui lui offre un talisman protecteur ou  Marie-Rose Couderc qui s’occupe de la maison.

    Alors que la tristesse et l’angoisse gagnent de plus en plus Jacques, « Un sentiment d’inquiétude m’étreint », « Je m’aperçois de plus en plus souvent que ne je suis pas insensible aux craintes qui naissent de la nuit »,  « la tristesse le gagne parfois, sans raison claire ») le hasard surgit  à nouveau dans son existence  avec  l’arrivée de la jeune et jolie Lucie  qui va métamorphoser les forces en présence : « A croire que l’arrivée de Lucie a eu une heureuse influence sur la maison. Serait-elle l’ange gardien qui tient à distance les forces maléfiques ? La petite lumière dont j’avais besoin, elle qui se prénomme Lucie ? ».  Comme l’indique l’étymologie de son prénom, la jeune femme fait naître la lumière, « Venu de la fenêtre un grand rayon de lumière tombe sur le plancher ». Le rouge   de son anorak constitue une note de couleur chaude et agréable qui troue « la brume cotonneuse », « le ciel gris et bas »,  réchauffe l’ambiance : « A la tache rouge qui avance lentement, il la reconnaît. Son cœur bat fort. Une bouffée de joie l’envahit ». Lucie  ouvre à  la joie et  à l’espoir. Elle apporte le recul de la réflexion et le discernement. Entre elle et l’écrivain se crée d’emblée une complicité. L’enchantement gagne le cœur de Jacques, le rythme et l’ambiance de l’ouvrage changent.

   L’intrigue de La baraque du cheval noir est rigoureusement bâtie.  Récits,  descriptions, dialogues, monologues intérieurs se tricotent plongeant le lecteur dans le passé et le présent du personnage principal. Ses suppositions, ses questions, ses interrogations, ses doutes le perturbent  et aiguillonnent  la curiosité du  lecteur.  Jacques Torrant, perçu comme un étranger, un être à part venu semer le désordre avec ses questions,  imagine ce qui a pu se passer et constitue  à la faveur de nombreuses hypothèse les derniers jours de l’oncle Paul et son « accident ». L’événement  tu, nié, caché, interprété selon la personnalité de chacun implique de plus en plus Jacques Torrant.  Une histoire apparemment banale dont la toile de fond est le Massif Central devient sordide.  Dans le monde clos de la campagne, les superstitions se mêlent au suspens. Les anecdotes se tissent et se lient pour aboutir à la compréhension finale. Le lecteur savoure des portraits physiques et psychologiques  de différents personnages subtilement brossés et évoluant au fil des pages.  Rouveyre s’est apparemment enrichi par son travail acharné, mais progressivement le lecteur comprend qu’il a acquis son argent en profitant de différentes situations. Le roman du terroir  devient  roman psychologique, fiction autobiographique, fantastique, roman à suspens, roman policier dénonçant certains personnages ordinaires, en réalité des arrivistes, prêts à tout pour s’enrichir.  Le mystère, l’angoisse s’installent progressivement.  Le brouillard glacé vient sans cesse estomper les formes, cacher le réel, révélant un univers énigmatique, mystérieux, dangereux. L’alternance entre les différents modes de narration, le jeu  avec le style direct, le style indirect libre,  la focalisation interne, la grande place accordée aux monologues intérieurs, font que   les frontières entre les différentes manières de narrer l’histoire deviennent  poreuses. A l’espace réel  se superpose celui du  passé, des souvenirs. L’écrivain  jongle avec l’énonciation. Au roman à la troisième personne,   se mêlent les écrits à la première personne, en police plus petite,  de Jacques. Le lecteur assiste à l’écriture de son ouvrage, à la recherche tâtonnante de la vérité. Cette mise en abyme, le vécu, le ressenti, ces jeux de reflets ancrent davantage l’histoire dans le réel tout en épaississant le mystère et l’angoisse.

    Avec une écriture nourrie des paysages reculés de la Lozère vus,  connus de l’intérieur,  André Gardies entraîne le lecteur dans un polar rural  où dominent les superstitions, les querelles, les rancunes familiales et les jalousies de voisinage. Dans la baraque du cheval noir, le cœur  de toute une région frémit dans le froid glacial de l’hiver et dans les affres des peurs ancestrales.

3 Commentaires

  1. Queyrel Claude

    Le hasard surgissant dans un milieu considéré comme hermétique et en partie hostile, où une étincelle allume la sympathie et l’amitié que l’on croyait à jamais éteintes dans ce monde réservé .
    Deux lectures de ce ‘polar’ cévenol m’ont ravi et comblé.

  2. massal

    j ai beaucoup apprecie la lecture de la baraque du cheval noir:les extraits sur l environnement la nature brute du gevaudan..et l ambiance fantastique qui etreint le recit.j ai vecu 17 ans de mon enfance et adolescence en haute loire proche de la haute lozere . des l ecole primaire les excursions scolaire m ont fait decouvrir les paysages et les lieux marques fantastiques dans mon imaginaire par les contes de pourrat l auvergnat .la margeride pays de la bete du gevaudan d un conte de pourrat illustre de dessins fantastiques .autour de saugues du mont mouchet haut lieu de la resistance a l envahisseur nazi,les gorges de l allier,celles de la truyere, du viaduc d eiffel..j arrete
    pas

  3. annie

    Un livre riche et passionnant en effet.