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Je ne suis pas un monstre

7/05/2017 | Livres | 0 commentaires

Je ne suis pas un monstre        
Maryline Gautier
Editions de la Différence (2017)

 

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

 

    Image monstre.jpgDans Je ne suis pas un monstre de  Maryline Gautier, Mathieu Grimaud le narrateur et  personnage principal, un étudiant de vingt deux ans venant d’obtenir un master d’économie pour faire plaisir à sa mère, ne se conçoit pas comme un être à part entière autonome mais avant tout comme le fils de Mathilde Grimaud dont paradoxalement il se « sent (…)  si peu le fils » tellement leurs personnalités s’opposent à ses yeux.

    En effet, la belle Mathilde Grimaud, ex ministre de l’Industrie, présidente du grand groupe industriel Apophis,  – intelligente, cultivée, distinguée, brillante, efficace, aisée – fréquente les hautes sphères de la société et rêve du fils idéal. Mais Mathieu est loin d’être conforme aux fantasmes de sa mère : « elle aurait aimé que je sache tout faire sans effort ». Femme publique prisonnière de la tyrannie du paraître  avant d’être  mère, elle n’apporte aucune tendresse à son enfant avec lequel elle est distante  (elle « repoussait mes mains qui salissait le tailleur, abimait le brushing ou le maquillage »). Elle exige du petit garçon puis de l’adulte qu’il devient une certaine forme de perfection. Mathieu doit être un objet parfait. Ayant très vite ressenti cette réification, il se dévalorise comme elle-même le dévalorise. N’arrivant pas à répondre aux exigences maternelles, Mathieu perd l’estime de lui-même. Il se croit  inintelligent, laid, se sent toujours en position d’infériorité par rapport aux autres.  Mathieu se jauge à travers le regard de cette mère fortunée dont il dépend financièrement. Il vit en effet  comme un prince dans un splendide et immense appartement de « deux cents mètres carrés »  pour lui tout seul,  « comme dans un hôtel de luxe »  avec un majordome, une femme de ménage, une cuisinière. Dominé par une mère  castratrice, il ne peut  de surcroît se construire en référence à un père absent et inconnu. Dans sa toute puissance, sa mère lui impose inconsciemment une impuissance verbale lorsqu’à l’âge de six ans,  il lui récite pour son anniversaire  un poème de sa composition et qu’elle s’esclaffe, entraînant un fou rire général chez tous ses invités : « A la quatrième strophe, toute la tablée rit. Jamais plus je n’avais tenté d’écrire des poèmes ». L’instance tutélaire  prohibitive qu’est cette présidente d’entreprise engendre donc des conséquences négatives sur la vie de son fils. Passif, il craint de déplaire aux autres, leur donne à entendre ce qu’ils souhaitent : « – On est parfois obligé de mentir. / – Obligé ? Pourquoi ? / – Pour faire plaisir aux autres, leur dire ce qu’ils souhaitent entendre ». Il n’ose pas révéler son homosexualité à  sa mère dont il ne connaît essentiellement que l’image : « (…) je l’avais vue aussi souvent en photo qu’en chair et en os ».  Elevé sans tendresse, il n’a connu que l’amour d’Irène, (« Irène et son indéfectible présence ») l’assistante de Mathilde Grimaud,  substitut important dans la vie de Mathieu. Elle compense tous les manques, elle l’écoute, lui offre la chaleur maternelle absente. Teddy, son « double » pragmatique et lucide et elle lui disent ce qu’il veut entendre et ce que sa mère ne lui a jamais dit. Grâce à Teddy « les miroirs sont devenus aimables (…) Quand j’apparaissais devant eux, ils s’entendaient pour me renvoyer la même image. Un jeune homme brun, musclé, le cheveu souple et brillant, le sourire éclatant.  Beau, indiscutablement. » Le miroir lui renvoie son double, un autre et pourtant le même. Mathieu prend progressivement conscience qu’il  n’est ni  niais  ni laid comme il se l’imaginait. Et le regard des autres  évolue en fonction de son regard sur lui-même.

    Amoureux de poésie, – cette dernière l’accompagne dans les moments douloureux  de sa vie –  il récite des extraits lyriques de Lamartine, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud. Des remarques favorables  semées ça et là, espèce de mise en abyme inverse du narrateur,  imposent une vision avantageuse de lui,  montrant l’effet positif qu’il peut produire sur les autres et même sur sa mère. A la grande stupéfaction de cette dernière, il arrive à tenir une conversation : « Du fond d’une bergère où elle se tenait comme sur un trône, ma mère m’a regardé d’un air étonné, qui semblait dire ‘Ainsi, mon benêt de fils peut faire la conversation à mon directeur de la communication’ ». Teddy  le stimule, l’encourage, l’aide à prendre confiance en lui, lui propose une vision positive de lui-même  en lui faisant pratiquer l’autosuggestion. Avec application, Mathieu répète  plusieurs fois par jour : « Je m’appelle Mathieu Grimaud, j’ai vingt deux ans, je suis beau et je ne suis pas une limace ». Et il n’est pas un monstre !

    Teddy, puis le bel Olivier Legendre dont il est secrètement amoureux vont faire basculer sa vie.  Olivier Legendre est le point révélateur  qui  modifie le cours de l’existence de Mathieu. Le récit dérape alors. Après une première partie psychologique sur les liens mère/fils, la folie s’insère dans l’histoire  qui  prend l’allure d’une tragédie et d’un roman policier original loin du réalisme plat,  sordide, médiocre, violent habituel dans ce genre de roman.  L’intrigue se déroulant en effet dans l’univers luxueux, élégant de la haute société cultivée, rien ne laisse présager un crime, malgré quelques indices menteurs que nous tairons pour ne pas déflorer l’histoire.

    Au roman serti de fines analyses psychologiques, de critiques  sagaces de la société bourgeoise succède un  thriller emporté dans le maelstrom de la frénésie. Empreinte de légèreté, l’écriture poétique, sobre et limpide  de Maryline Gautier séduit le lecteur. La lecture de Je ne suis pas un monstre, bel ouvrage psychologique à suspens, comme celle du précédent ouvrage de l’auteure, Kidnapping,  provoque d’agréables effets de surprise, tenant en haleine le lecteur dès les premières pages. Les monologues intérieurs, des thèmes récurrents comme la relation dominant/dominé, le dédoublement de la personnalité, la profonde connaissance de la psychologie humaine sont la signature  et la griffe de l’écrivain qu’est Maryline Gautier.  

 

Prendre aussi connaissance de la chronique sur le livre de Maryline Gautier, KIDNAPPING       
http://lecritoiredesmuses.hautetfort.com/archive/2015/07/12/kidnapping-5656009.html

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