Histoires d’amour impossibles… ou presque
Louis-Philippe Dalembert
Editions du Rocher, 2007
(par Annie Forest-Abou Mansour)
Louis-Philippe Dalembert ne se plie pas à la loi d’un genre. Il recourt à tous les types d’écriture – le roman, la poésie, la nouvelle –, à tous les registres : satirique (« Elle partit frotter ses utopies à la réalités du terrain »), humoristique, ( « … mes Step-over, cirées à rendre pâles les diamants de la Castafiore »), pathétique, lyrique… Et il trouve différents langages susceptibles de rendre compte de la vie, du réel, des sentiments. Lire son recueil de nouvelles Histoires d’amour impossibles … ou presque, c’est comme retrouver un ami de longue date dont on connaît les thèmes de discussion favoris. En effet, ces fragments d’histoires nous renvoient à ses précédents ouvrages : L’homme qui attendait d’être aimé fait référence à L’île au bout des rêves et, dans Un amour en noir et blanc, on retrouve Caroline des Dieux voyagent la nuit. Les mêmes thèmes circulent : Grannie, la musique, la poésie, la politique, « le temps insouciant de l’enfance », la Bible, les religions, le vagabondage….
La quête revêt la forme du vagabondage : « Un vagabondage, sans fin autour du monde… et de la vie ». Ses narrateurs découvrent, dans ces différents ailleurs, la beauté ineffable (« les arabesques de la neige »,) mais aussi la noirceur du réel (« Elle m’aurait parlé d’une terre sienne. Où tu n’es la bougnoule de personne »), l’amour (« comme pour un baptême d’amour ») et l’amour impossible (‘« Il s’approcha d’elle et lui dit (…) Sofia ? Elle lui sourit, avant de répondre (…) : « vous faites erreur, sidi » ’), en un mot la Vie.
Ses personnages sont imprégnés de la culture des pays traversés. Dans Le jour où j’ai pleuré, le narrateur comprend, sans jamais les juger négativement, les réticences de son amie, à la sévère éducation musulmane, devant la sexualité. Et il compare de façon très belle son « corps raidi. Pareil à celui de l’agneau à la vue du hachoir ». La jeune femme devient un agneau, symbole de pureté et d’innocence, offert à la violence du sacrifice. Le narrateur saisit l’immense importance que l’acte sexuel représente pour elle et la pression de son éducation : « En cet après midi de printemps, elle me fit don d’un quart de siècle d’éducation ». Il est ouvert à l’autre et respectueux de la différence.
Citoyen du monde, l’écrivain jongle avec les différentes langues des pays visités : « inch’Allah », « Habibi », « ron Havana club oro cinco anos », « smile darling, don’t get upset » « Ich bine in Berliner »… Ces mots et ces phrases issus de contrées différentes, les descriptions pittoresques propres à chaque lieu, révèlent un rapport au monde personnel rempli de richesses et d’authenticité. La référence à la Bible, la réconciliation des inconciliables («Pourquoi était-elle berbère ? Pourquoi suis-je moi ? Pétri qui pis est d’ersatz de culture judaïque, pour avoir observé le sabbat jusqu’à la sortie de l’adolescence alors que je n’étais déjà plus croyant. ») donnent une dimension universelle aux personnages de Dalembert et témoignent de son ouverture d’esprit. L’auteur peut même être comparé à Montesquieu dans De l’art de draguer une Française. Dans ce texte satirique, avec un humour malicieux, il s’attaque aux préjugés masculins, aux clichés racistes (« Tu dois être le bon nègre rieur »), ou au nombrilisme français (pour le narrateur, la Française est « une indigène ». – C’est de surcroît, l’expression correcte !), et piège l’éventuel mauvais lecteur à l’issue de cette nouvelle à chute, avec un coup de théâtre final.
En outre, Louis-Philippe Dalembert ne se contente pas de maîtriser l’art de raconter des histoires. Il est aussi un Homme de Lettres. Son écriture dialogue avec celle des autres poètes et écrivains, tricotant et nouant ensemble leurs différents fils. Au détour d’une phrase, on rencontre Baudelaire (« ces monstres disloqués, qui furent jadis des femmes »), Aragon (« Toi qui ne crois plus au ciel »), Verlaine (« L’automne jusque-là inconnu violonne ses sanglots par intermittence blessant ton coeur d’une langueur plus que monotone ») ou Verhaeren (« cette ville tentaculaire »)… Il glisse même, en exergue à ses textes, des extraits d’écrivains passés ou présents. La poésie berce ses phrases : « Le mystère de ton regard où se sont donné rendez-vous tous les soleils de la nuit noire ». Son écriture pare le réel de mille reflets esthétiques (« De temps à autre de brefs reflets de soleil miroitent sur l’eau lui donnant une belle couleur argentée. Une embarcation à aubes sortie d’un vieux conte du Mississippi y glisse lentement »), mime le flux du cheminement de la pensée, l’éclatement des sensations, en supprimant ponctuation et majuscules : « Je ne reviendrai plus à brodwy manhattan ne sera plus pour moi qu’un quartier exotique aux rêves vertigineux on n’y voit que des vies de béton et des pas toujours pressés mélange enchevêtré de chaud et de froid au mitan de l’été…. » Et ici ou là, le texte déraille parfois se heurtant à une expression ou à un mot familier (« Les femmes bandent par l’oreille, frère »), à un jeu de mots : « Mantes qui n’était pas toujours jolie », clins d’oeil espiègles au lecteur.
C’est encore avec plaisir que le lecteur retrouve ici les multiples facettes de l’écriture de Louis-Philippe Dalembert où les frontières entre la poésie, la prose, l’oral, l’écrit s’estompent. Le lecteur aime à reconnaître, dans ces textes éclatés, les idées, la personnalité, la culture de l’écrivain derrière les fantasmes des personnages. Les créatures mènent au créateur.
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