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Histoire d’Irène

29/05/2015 | Livres | 0 commentaires

Histoire d’Irène
Erri de Luca       
Traduit de l’italien par  Danièle Valin   
Du monde entier. Editions Gallimard, (2015)

 

(Par Christina Olmes)

 

       image d'histoire d'irene.jpg Auteur italien bien connu du public français (hôte des Assises du Roman de Lyon une nouvelle fois en 2015), Erri de Luca livre un nouvel opus où l’espèce humaine est à égalité avec la gente animale. A égalité ? En disgrâce plutôt. Où le coeur de l’homme s’arrête, se prolonge et  se déploie celui des animaux.  
Irène, jeune fille âgée de 15 ans, est une orpheline atterrie sur la plage d’une île grecque et recueillie par le pope. Quand son ventre devient fécond, il la met dehors. Personne sur cette île ne s’ouvre à Irène, tous la rejettent. Elle n’articule pas le langage des hommes : pour communiquer avec elle il faut donc s’ouvrir plus profondément, l’écouter avec son cœur, avec son corps. Des êtres doués d’une telle écoute existent : ils sont du peuple de la mer. La famille d’Irène est une troupe de dauphins. Chaque nuit, elle vit avec eux, nage avec eux : « Maintenant je sais qu’elle vit avec des dauphins. Ils l’ont amenée toute petite sur le rivage. Ils l’ont nourrie de leur lait épais et d’anchois bleus. Elle a appris les ondes sonores que je reçois, un bruissement de mer dans la coquille de mon oreille. »

    Elle est dauphin et jeune fille, et si nul être humain ne l’entendait, un homme pourtant la comprend :  » Comment se fait-il que je comprenne tes phrases, Irène, sans qu’aucun mot ne se détache de tes lèvres ?

    « C’est comme ça que font les dauphins, me répond-elle ». Quel rapport avec les dauphins ?

    Il y en a bien un. Je pense aux innombrables langages sortis de la Tour de Babel, à leurs grammaires et à leurs alphabets qui séparent bien plus que les chaînes de montagne.

        En revanche, une chèvre albanaise et suisse se comprennent tout de suite. […]

        Irène connaît la langue des dauphins et dit qu’elle fonctionne aussi avec moi. « .

    L’écrivain est un être à part : il sait dire les infimes impressions intérieures avec tant de justesse que sa page devient miroir des profondeurs.

    « Un écrivain s’est transformé en cafard, un autre en marionnette en bois. Et moi, il m’est parfois arrivé d’être le cheval de Quichotte. »

    « J’escalade pieds nus un rocher avec des prises de quartz. Je remonte lentement une cristallerie de prismes.

        Ma colonne vertébrale évoque les torsions du reptile. Elle m’a vu grimper. »

    L’écrivain est poreux, argileux : il prend la forme de ce qu’il regarde. Il est animal, reptile, caméléon comme le cristal.

    Irène, jeune fille dauphine l’a choisi lui, une créature hybride comme elle pour lui confier son histoire. Lui non plus n’est pas de la société des humains : il est écrivain. L’auteur présente cette histoire comme le recueil d’un témoignage. Irène a voulu que lui seul connaisse son histoire :  » Irène cherche en moi le vide de bouteille dans lequel glisser son récit. »

    « J’ai sans doute été accepté à la suite d’un examen inconnu. En juillet, un dauphin m’a abordé alors que je nageais sur le dos.

    J’ai été assailli par son vent qui venait près de moi et sous mon dos.

    C’était une caresse profonde qui partait des pieds, parcourait mon corps et passait derrière ma nuque.

    Il m’ouvrait la mer, remplissait ma respiration. Il faisait vibrer mes organes, mes reins, mon cœur, mon cerveau, il chatouillait mes poumons, soufflait dans mes os.

    J’ai fermé les yeux et nagé les mètres les plus légers de ma vie.

    Mes brasses suivaient un courant, j’avais l’impression de descendre du haut d’une vague.

    J’étais un enfant sur une balançoire, poussé dans le dos par un adulte joyeux. »

    Erri de Luca dédie ce livre notamment  » au dauphin qui a accompagné [sa] nage ». Le dauphin est la muse, le souffle inspiré de cette histoire vraie. Je partage ces mots d’Erri de Luca :  » Je crois Irène. Du créateur, je sais ce que je lis dans les pages sacrées, dans sa première langue, mais je ne connais ni la voix ni le corps qui l’a dit.

        Je dois y mettre du mien et ça ne compte pas. Le seul indice en sa faveur, c’est le déploiement de la beauté jusqu’au gaspillage, trop et imméritée. […]

        Je vois la beauté d’Irène et je ne remonte pas à l’origine de l’univers pour justifier son existence.

        Elle existe parce que oui, parce que dans la vie il existe le oui et le non. « 

    Il arrive que la tendresse animale restaure l’humanité. Moi, ça m’arrive souvent, chaque fois c’est une petite renaissance, un élan vers la beauté, une onde de gratitude.

 

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