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Hannah Arendt

26/05/2013 | Cinéma | 2 commentaires

 

Hannah Arendt
Film de Margarethe von Trotta  (24 avril 2013)
Avec
Barbara Sukowa, Axel Milberg, Janet McTeer, Julia Jentsch, Ulrich Noethen, Michael Degen, Victoria Trauttmansdorff, Klaus Pohl.

 

(Par Elias Abou-Mansour)

 

    aHanna arendt image.jpgDans son dernier film, Margarethe von Trotta  relate un moment crucial de la vie d’Hannah Arendt. Cette dernière a en effet décidé de couvrir le procès du tortionnaire Eichmann. Assister à ce procès est une obligation qu’Hannah Arendt doit à son passé de déportée. En outre, elle a besoin de comprendre, de regarder en face  ce bourreau.
Elle couvre donc à Jérusalem le procès d’Eichmann en qui elle découvre l’avatar de la « banalité du mal ». Elle élabore avec une logique rigoureuse un discours précis sur la monstruosité. La philosophe puise alors ses arguments  dans la plaidoirie de l’accusé. Pour Hannah Arendt, Eichmann n’est ni un idéologue extrémiste ni un doctrinaire fanatique. Il a obéi et s’est soumis aux ordres  du Fuhrer.  Il a incarné le fonctionnaire zélé. Eichmann ne cesse de répéter : « Je n’ai fait qu’obéir aux ordres ». Cependant cela dépasse la notion d’obéissance consentie. La soumission d’Eichmann révèle l’effacement des valeurs. Il a manifesté une obéissance sans limite en dehors de tout esprit de responsabilité ou de sentiment de culpabilité. Il incarne la perversion de la notion du devoir. Selon l’expérience de Milgram, la notion de liberté est étouffée devant une autorité dominante. Eichmann obéit aveuglément car il  est  plus facile d’obéir que de désobéir sous une autorité écrasante.
Hannah Arendt, sans cependant approuver, c’est évident,  affirme et persiste dans son idée  qu’Eichmann n’a pas pensé à ce qu’il faisait, n’a pas saisi les  conséquences de ses actes.  Elle a dédramatisé son rôle dans le génocide et elle a surestimé la responsabilité qu’auraient assumée les Judenrätes (les conseils juifs) dans la Shoah. Mais il n’est pas décent d’anathématiser les Judenrätes qui vivaient dans la terreur, dans un univers où la mort était omniprésente. Ensuite Eichmann était l’administrateur des camps d’extermination et veillait à l’application de la solution finale. Il savait donc ce qu’il faisait. Lors de son procès,  Eichmann a formulé un langage administratif. Cependant la vacuité de son langage ne reflète absolument pas la monstruosité abyssale du génocide. La citation d’Hannah Arendt : « les hommes qui ne pensent pas sont comme des somnambules »  ne peut s’appliquer à  Eichmann.
Les historiens ne partagent pas la vision d’Hannah Arendt. D’ailleurs le film n’est pas un film historique. La cinéaste Margarethe von Trotta  met en scène un débat philosophique et présente le milieu intellectuel allemand fort animé à New York dans les années soixante.D’ailleurs, la publication de son essai philosophique Eichmann à Jérusalem a suscité une vive polémique. Les prises de position d’Hannah Arendt provoquèrent son isolement. Hannah Arendt, incomprise, fut malmenée par ses collègues universitaires et par les sionistes. Emigrée assimilée, naturalisée américaine, proche du spartakisme, elle rejetait tout nationalisme étriqué. Quel fut le mobile de son attitude ? Sachant que, sous le nazisme, les Juifs furent mis au ban de la société, elle en a souffert. Ainsi, elle n’accepta pas que l’Etat-nation juif engendre à son tour de nouveaux parias : les Palestiniens. Le concept de paria était très important pour elle. Hannah Arendt ne s’intéresse pas à l’aspect historique du problème, mais à la notion philosophique du mal. C’est pourquoi un dialogue de sourds s’installe entre ses détracteurs et elle. Ses opposants sont dans le viscéral, dans l’émotion, elle, elle est dans la logique, la rigueur, la rationalité. Elle reste fidèle à la cohérence de son discours et elle préserve sa pensée au détriment  même de l’amitié.
Le film de Margarethe von Trotta  est un hymne à la femme. Il constitue un hommage  à son courage, à son intelligence, à son intransigeance. La réalisatrice, Margarethe von Trotta  donne d’Hannah Arendt  l’image d’une femme non conformiste, libre, en cohésion avec ses convictions. C’est une icône intellectuelle.      
Le spectateur est séduit par la pensée rigoureuse d’Hannah Arendt, par sa quête de vérité, par sa sincérité et son authenticité.

2 Commentaires

  1. joelle RAM

    Très juste, cher narrateur, l’extraordinaire expérience de Milgram démontre que la liberté est étouffée sous le pouvoir dominant. Cependant, je ne pense pas que l’annihilation du sens critique chez l’être humain « révèle l’effacement des valeurs ». Les valeurs ne sont pas effacées (à mon sens) ; elles existent, mais elles sont étouffées ou écrasées (et donc reléguées) sous le poids de cette autorité paralysante qui annihile tout esprit critique. En somme, ce ne sont pas les « valeurs » qui sont effacées, mais la « liberté ». Dans l’expérience de Milgram, on devine que celui qui actionne le levier qui délivre des décharges électriques au candidat qui ne répond pas bien aux questions, est un homme (ou une femme) qui est angoissé – puis terrorisé – à l’idée de devoir, à chaque mauvaise réponse, donner une décharge encore plus forte (il a donc un vrai sens des valeurs) ; mais c’est sa liberté qui est prisonnière du « système » qui l’emploie.
    Maintenant vous écrivez ceci : « Ses opposants sont dans le viscéral, dans l’émotion, elle, elle est dans la logique, la rigueur, la rationalité. »
    Je crois que ses opposants ont vu Eichmann comme un être « d’exception » en ce qu’il a commis l’Horreur indescriptible, mais Annah Harrendt l’a vu, elle, comme un être tout à fait banal, qui a fait partie d’une longue chaîne d’individus tous aussi banaux. Donc, je ne pense pas qu’il s’agisse à proprement parler d’une polémique entre émotion et rigueur, mais d’une polémique sur la « banalité du mal ». Au reste, l’expérience de Milgram fait bien état de cette banalité du mal, dans la mesure où celui qui actionne le levier qui envoie les décharges électriques, n’est pas un être spectaculaire, odieux, pervers, mais tout simplement un être humain comme les autres, qui commet un jour un acte de barbarie parce qu’il se plie à un système qui décide et pense pour lui : d’où la banalité du mal.
    Qu’en pensez-vous cher narrateur ?
    Cela étant, j’ai beaucoup apprécié votre commentaire sur le fond du film et vous remercie.
    Joelle Ram

  2. Hattie

    C’est presque impossible de trouver informés personnes dans ce cas particulier sujet , mais vous sembler vous savez ce que vous parlez! Merci