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Fantasmagories. Contes noirs et flamboyants

6/04/2018 | Livres | 0 commentaires

 

Fantasmagories
Contes noirs et flamboyants
Marianne Desroziers   
Editions de l’Abat-Jour (2018)

 

 

((Par Annie Forest-Abou Mansour)

 

   image fantasmagories.jpg Le titre  du recueil de Marianne Desroziers, Fantasmagories, est déjà une aventure inquiétante. Il crée tout un horizon d’attente onirique, fantastique, troublant. En effet, l’étrange, l’énigmatique, le déconcertant, l’envoûtant liés à  l’enfance –ou aux enfances -,  hantent les quinze « contes noirs et flamboyants ». A cela tient sans doute le plaisir particulier que le lecteur éprouve en lisant ces récits.

    Dans Fantasmagories,  il est loin le paradis de l’âge enfantin supposé  candide et heureux. Il n’y a  pas d’insouciance, pas de naïveté, pas de pureté virginale chez ces enfants pas comme les autres, confrontés aux angoisses existentielles, aux peurs universelles de la nuit,  de la mort, de la vie. Tous les fantasmes de leur imaginaire sont révélés.  La  nuit, la chambre du  garçonnet de « Terreurs nocturnes » se métamorphose en un lieu terrifiant.  « L’arbre dont l’ombre a envahi le mur est un géant hideux ». La monstruosité, la laideur, « une ambiance malsaine » envahissent la chambre, « cocon protecteur » durant la journée. L’angoisse étreint le petit garçon. Il  craint de mourir et  de voir mourir ses parents : « Ils ne seront pas toujours là, il le sait. Les parents meurent aussi ».  La hantise de la mort maternelle domine de nombreuses histoires. Cependant  cette mort insoutenable s’atténue.  Célia  dans « Célia ne pleure pas » est littéralement absorbée  par le corps de sa mère : « elle entre dans un autre univers ».  Le cœur de l’une et de l’autre  se rencontrent pour ne faire plus qu’un. La mère et la fille s’imbriquent. La maman vit désormais en elle, inoubliable, présente et protectrice. Après des tours et des détours dans le corps de sa mère, métaphore du temps du deuil, (« Peu à peu, le corps de sa mère devient pour elle un parcours de santé étrange et inquiétant. Tantôt elle se couche, rampe, se contorsionne pour se faufiler péniblement sous des tendons (…) »), elle tisse un autre type de lien, très fort, avec elle.   
      Le monde des vivants et des morts n’est pas nettement séparé : « Célia est passée de l’autre côté. Ici, l’espace et le temps n’ont  plus de sens ». Les enfants du texte « Invisibles aux yeux de tous » errent entre les deux univers. D’autres, dans « quelque chose dessous »,  se liquéfient, désormais libres, absorbés par une nature bienveillante  avec laquelle ils entrent en osmose.     
    La forêt où errent les enfants solitaires constitue une échappatoire. Marie, fillette malheureuse et maltraitée par ses indignes parents, (« Les papillons de Marie ») s’échappe dans les bois et s’assimile à la nature. Elle devient un être hybride loin de la fillette martyrisée qu’elle était,  violente par mimétisme pour venger ses intolérables souffrances physique, psychologique, sa jalousie et  ses frustrations : « Les petites filles ayant grandi dans des familles aimantes étaient ses cibles privilégiées ». Le tourment, l’affliction entraînent la haine. Igor et Ludmila, adolescents orphelins,  (« L’amour du feu ») vont même jusqu’à user de la psychokinésie pour faire taire leur détresse et agir sur les adultes, entraves à leur liberté. « La petite fille aux yeux verts »  serait-elle responsable du décès des passagers du train ? L’ambiguïté de la chute de la nouvelle oriente la lecture vers différents horizons de sens.  La polysémie du verbe « faire » (« Allongée dans son lit, la petite fille aux yeux verts se souvint alors de ce qu’elle avait fait ») brouille volontairement l’interprétation : ce qu’a vécu l’enfant ou ce qu’elle a effectué ?

    Aux thèmes de l’enfance, de la mémoire, se tisse celui de la maison, attirante mais menteuse. La maison esthétique, séductrice, véritable confiserie appétissante, « (…) une maison digne d’un conte. Ses murs semblaient faits de pain d’épices, son toit de chocolat, ses fenêtres de sucre », (« Dans les eaux du lac Baïkal »), clin d’œil à celle de Hansel et Gretel, cache derrière ses façades misère et malédiction.      
    Dans « La porte entrouverte », après de longues années, un homme retourne dans la maison de son enfance, la mémoire remplie de souvenirs d’instants de bonheur. Le passé est toujours intensément présent en lui avec ses odeurs, ses couleurs, ses émotions : « Ses narines frémissent au souvenir de l’odeur du gâteau de pain cuisant dans le four ». Or tout a changé. En effet, on ne retrouve jamais le monde de son enfance : « Il a compris qu’il n’y trouverait rien de la chambre de ses huit ans ». Il ne lui reste qu’à  partir : « (…) il quitte la maison, laissant la porte entrouverte »,   signifiant métaphoriquement l’impossibilité  tragique de retenir le passé.

    L’enfance et ses déceptions, ses rêves et ses cauchemars, la mort récurrente constituent le fil narratif des contes noirs de Marianne Desroziers. Dans ce monde atemporel,  le lecteur ressent le retentissement des choses, des pulsions. La mort coule dans la vie irrémédiablement. L’atmosphère souvent sombre, pluvieuse, froide et morbide du monde humain (« la neige s’envolait, lugubre, dans le vent tourbillonnant ») est lumineuse et colorée dans les souvenirs (« … ses cheveux brillant sous le soleil de fin d’après midi »),  dans les moments de rêve, dans les souhaits (« Ce serait un spectacle grandiose : une cascade de billes multicolores rebondissant en tout sens (…) »)  ou  lorsque le récit s’ancre dans une autre réalité   (« L’animal s’en alla dans un battement d’ailes jaune et vert, laissant une onde colorée dans son sillage »). Le monde imaginaire est plus fort que le réel. La poésie naît au détour d’une phrase. La beauté apparaît dans les ailes colorées des papillons, dans le bruissement des feuilles des forêts. Il existe tout une féérie de l’écriture  métaphorique de Marianne Desroziers. Les plaies de Marie se cicatrisent en devenant dentelles, papillons ou fleurs  esthétiques : « Il lui semble qu’une brocatelle d’or, jaune vif, s’échappe de son avant-bras ». L’écrivaine  métamorphose le réel en s’intéressant aux mystères de l’enfance, à ce qui se cache derrière les apparences. Elle arrive à saisir  le moindre moment où les barrières tombent, où la vie se met à vibrer intensément plongeant le lecteur dans la cauchemardesque beauté du fantastique et  de l’émotion, élément catalyseur de la vie et de l’imaginaire enfantin.

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