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Dialogues

10/02/2005 | Livres | 0 commentaires

Survivantes
Esther Mujawayo et Souâd Belhaddad

Suivi de « Entretien croisé entre Simone Veil et Esther Mujawayo »
(L’Aube, 2004)
(par Annie Forest-Abou Mansour)

Un génocide ne doit pas être confondu «avec un conflit aussi barbare soit-il» explique Souâd Belhaddad car c’est en «détourner» le sens et «relativiser». En effet, un génocide a pour seul objectif d’exterminer la totalité des êtres dont on a «décrété qu’ils n’auraient jamais du naître». Un génocide, c’est la haine manipulée par l’idéologie et l’inhumanité. Et à quelque époque qu’il se déroule, il recèle toujours les mêmes schémas : la négation de l’Autre, sa déshumanisation, afin de rendre plus facile son extermination. Qu’on lise les propos d’Ester Mujawajo ou ceux de Primo Lévi, on retrouve la présence des mêmes champs lexicaux, des mêmes thèmes.

Quarante ans après la Shoah, en 1994, alors qu’on croyait un nouveau génocide impossible, un million de Tutsis sont massacrés dans d’horribles conditions par les Hutus, «dans un silence assourdissant et une indifférence totale». Esther Mujawayo, sociologue et psychothérapeute, rescapée avec ses trois petites filles (alors que son mari, sa famille et sa belle famille sont massacrés) témoigne avec sobriété des horreurs indicibles, inimaginables, incroyables qu’elle et son peuple ont vécus. Souâd Belhaddad, journaliste, l’écoute et prend des notes. De cet échange naîtra un ouvrage objectif et émouvant : Survivantes.

 Avec recul, nuance, sans parti pris, Esther dit les horreurs vécues par les Tutsis. Elles expriment ce que les victimes ne peuvent plus dire ou n’osent pas dire de peur de gêner l’interlocuteur : « je pouvais dire pourquoi on s’est tu après le génocide : on sentait qu’on dérangeait ». Elle témoigne pour que l’humanité n’oublie pas, ne recommence pas et aussi pour faire comprendre : « On a cru et conclu à une affaire d’Africains. Aujourd’hui, cependant j’ai la chance de vous parler et vous expliquer que non, ce n’était pas une tuerie intertribale mais une opération d’extermination, décidée par mon propre gouvernement et très organisée. Soutenue par la France, observée dans l’indifférence par le reste du monde ». A ce moment là, l’Occident et la France, cachée derrière son image de pays des droits de l’homme, empreint de la philosophie des Lumières, n’ont pas bougé, immobilisés par un mépris et un racisme latents.

Mais Esther n’accuse pas. Elle se contente de constater et de dire. Pourtant son ouvrage sollicite l’émotion, la réflexion et la conscience du lecteur.

Thérapeute, Esther se bat pour aider les rescapées (des veuves essentiellement) à ne pas rester engluées dans leur insupportable malheur. Elle milite pour obtenir des aides, redonner le sourire et la parole aux victimes «car les témoins ne parlent pas, les victimes sont suspectées et les coupables protégés. » Les victimes doivent survivre. Leur survie et leur vie constituent un enjeu : lutter contre l’instinct de mort des agresseurs, leur résister, leur prouver qu’ils ont perdu.

Et devant les horreurs inadmissibles, inacceptables, la confiance en l’autre et l’espoir dominent. Esther Mujawayo ne gémit pas sur son sort et celui des siens, elle lutte, parfois avec humour, le cœur rempli d’amour : «Ce que j’essaie de ne jamais développer chez mes filles» dit elle, «c’est la haine».

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