De l’aube au crépuscule
Recueil de poésies illustrées
Joseph René Mellot-Itier
Grafficus 2021
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
Le temps des bilans
Le temps des bilans étant arrivé pour Joseph René Mellot-Itier, une mise en mots poétique de sa vie s’imposa. La poésie est l’enchantement de l’imaginaire, l’expérience de l’éternel : « (elle) est larme de joie à l’assaut des outrages / Du temps (….) // C’est le bonheur qui naît dans un corps qui se meurt (….) ». Ecrire un ouvrage poétique, c’est s’ouvrir sur l’éternité, « La poésie, c’est tout l’envers des désespoirs, / L’étincelle de vie qui fait vivre d’espoir », C’est faire un pied de nez au temps qui passe, à la finitude intolérable.
Un voyage dans le temps
Dans De l’aube au crépuscule, doux titre métaphorique d’un recueil à la calligraphie en italique à l’effet suranné, écho de l’ esthétique écriture manuscrite en déliée d’autrefois, Joseph René Mellot-Itier donne à voir sa vie fractionnée en différents poèmes dont la ligne directrice est le temps s’écoulant inexorablement. Il s’agit d’un retour sur lui-même dans des poèmes de mémoire des êtres aimés, des parents et amis disparus, des lieux traversés et quittés, allant de la tendre et insouciante jeunesse à l’âge mûr. Joseph Mellot dit les joies, l’exaltation des découvertes, des promesses de l’aube de sa vie, puis, les années passant, le poids des ans se faisant de plus en plus sentir, les prises de conscience physiques, morales, intellectuelles parfois désenchantées (« O Marie ! / Des hommes j’ai perdu tout espoir, / Ils sont mon désespoir ») du crépuscule.
Des souvenirs embrassant toute une vie, des réflexions intimes, mystiques, – louanges au Christ, à la Vierge -, des hommages à l’épouse aimée sous forme de blasons (« Tes yeux, rien que tes yeux »), – épouse dont il unit le nom au sien sur la première de couverture, concrétisation de leur union indestructible -, des hommages à des membres de sa famille, (sa fille Virginie, sa mère défunte…), à des amis, des hymnes aux fleurs, à la nature, à la mer, à la montagne belle, grandiose, sidérante, se croisent au fil des pages. Chaque extrait d’un texte littéraire (d’Aragon, de Verlaine, de Baudelaire…) dominé par une photographie est une mise en miroir des poèmes de Joseph Mellot, assurant ainsi une continuité narrative. Des relations sont tissées entre le document iconographique, immortalisation d’un fragment de temps, et les textes, espèce de pont tendu de l’un à l’autre : le titre « Le cerisier d’Hélène » coiffe l’image d’un bouquet de cerises suspendu à un arbre réfléchissant et annonçant le poème : « Elle était sous le cerisier / En fleur, / Et cachait sous son chemisier/ Un coeur ».
La nostalgie
Véritable hédoniste, le poète dit son amour de la vie, l’émoi des sens (« La voyant toute nue au soleil dans le champ, / sur un lit de paille et de chaume brûlant, La nature féconde honorée par ses charmes/ fit ma semence prompte à honorer la dame »), l’intensité des plaisirs trop éphémères, à saisir avant qu’il ne soit trop tard, (« Tous ces plaisirs offerts, / Sachons-les éphémères, / Cueillons toutes les fleurs / Sans faire de façon « ), clins d’oeil multiples au carpe diem ronsardien.
Le poète se souvient des premières femmes rencontrées et désirées, des paysages observés. Il se remémore son enfance paysanne dans d’esthétiques tableaux campagnards, rendant la vie et l’âme aux harassantes mais festives journées de battage « sous l’ardent soleil / Accablant de l’été », au lourd travail des hommes (« Quand certains s’affairaient à graisser les courroies / De la drôle de machine aux poulies de bois / Et à bouche de fer,/ D’autres perchés là-haut alimentaient la bête / Qui tremblait de partout, des pieds jusqu’à la tête, / Dans un vrai bruit d’enfer »), à celui des femmes cuisinant joyeusement pour satisfaire l’appétit des travailleurs (« Les femmes aux fourneaux préparaient le repas, / Portaient l’eau et le cidre et rôtissaient les oies / En chantant, en causant »). Il dit les Noël d’autrefois, moments de joie intense, Noël remplis de sens, d’espérance et de fraternité (« Vous qui avez un toit, avez une chaumière, / Mettez votre manteau sur tous les enfants nus »), opposés aux Noël actuels à l’esprit profane et mercantile, voués au Dieu Argent : « Et tous en cette nuit profane de Noël, / Bénissent les marchands, oubliant Gabriel, / Tandis que les enfants courent sous le sapin / S’arrachant des jouets jetés le lendemain ».
Joseph Mellot ancre ses textes dans la réalité passée et présente, l’euphorie, le dynamisme, l’allégresse de la jeunesse, puis la nostalgie de cette époque révolue, les prouesses physiques d’autrefois, lors de randonnées en montagnes, annihilées par la fatigue et la douleur dévastatrice : « Regardant la vallée perdue dans les nuages, / Tu me disais ravie : ‘regarde ce mirage, / Ces sommets éveillés !’ / Mais, désormais vaincue au pied de ces alpages, / Tu me dis meurtrie : ‘vois sur moi tous ces ravages ! / Je ne peux plus voler !’ ». Il confie son désarroi devant les ravages des guerres et de la violence dans une énumération aux accents voltairiens , « Je vois des crucifiés, des femmes éventrées,/ Des prêtres à genoux à la tête tranchée, / Quand des barbares fous de voisines contrées / Massacrent les enfants aux parents arrachés », rappelant la célèbre « boucherie héroïque ». Il révèle l’hypocrisie de pseudo-chrétiens pour qui la gestualité importe davantage que la fraternité : « Puis, tous se prosternaient pour que chacun les voie / Chanter en coeur, très haut, les très saintes prières, / Faisant cent génuflexions et signes de croix (…) / Tous écoutaient sans rien entendre du sermon / Du curé, prêchant de cesser toutes les guerres, / D’aimer fort son prochain, d’implorer son pardon ». Il évoque ses déceptions avec amertume devant l’égoïsme plongeant la vieillesse dans la solitude, vieillesse dont seuls les biens intéressent (« Ils viendront l’enterrer / les siens. Pour en droit hériter/ des biens »), devant l’amitié trahie, (« Noémie, mon amie, pourquoi m’avoir trahi, / En me faisant croire que j’étais ton ami ? »)…
Le retour à la tradition de la poésie versifiée, à l’ample respiration du vers hugolien liée aux nombreux enjambements, le lyrisme, la recherche du mot rare et esthétique (« l’androcée », « leurs anthères subtiles »), l’écriture soignée de Joseph Mellot, la prégnance de la culture classique… nous rappellent dans De l’aube au crépuscule, une époque où la langue française était respectée et nous plongent dans le ressenti nostalgique du poète.
Du même auteur : Ma longue marche en Chine d’hier à aujourd’hui, 1956-2014.
C’est toujours très angoissant pour un auteur de prendre connaissance de l’analyse de l’un de ses ouvrages. Mais c’est un réel plaisir lorsque cette analyse est le reflet aussi fidèle de ce que l’auteur a voulu transmettre, de retrouver avec autant de vérité et de sensibilité le fil d’ariane de son cheminement. Ce regard de l’autre lui fait prendre conscience de certains aspects de son écriture dont il n’avait pas pris la mesure tant sa plume est dictée par son instinct, par ses émotions qui échappent à sa propre analyse.
Je remercie Annie Forest-Abou Mansour pour cette brillante analyse, qui a déjà été lue par certains de mes lecteurs qui s’en sont réjouis et m’ont assuré qu’elle reflétait sincèrement ce qu’ils avaient eux-mêmes ressenti.
Tout ceci m’enrichit. Merci
Chère Annie , je ne suis pas étonnée que tu aies aimé ce splendide recueil’. Ton analyse fine et détaillée de cet ouvrage m’a émue car elle rejoignait totalement l’enthousiasme que j’ai eu à savourer chaque page de ce bel ouvrage . Avec mon amitié
Joëlle Vincent
Chère Annie , je ne suis pas étonnée que tu aies aimé ce splendide recueil’. Ton analyse fine et détaillée de cet ouvrage m’a émue car elle rejoignait totalement l’enthousiasme que j’ai eu à savourer chaque page de ce bel ouvrage . Avec mon amitié
Joëlle Vincent