Cronce en corps
Chantal Dupuy-Dunier
Monotypes de Michèle Dadole
Editions les Lieux-Dits (2022)
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
Une aventure poétique
Cronce en corps plonge le lecteur dans une véritable aventure poétique avec des poèmes inspirés et inspirants, à fleur de peau, à fleur de terre, créateurs d’une réalité nouvelle, inattendue, concrétion du désir d’union totale, de symbiose magique entre la poétesse Chantal Dupuy-Dunier et son village de coeur.
Un lieu privilégié
Le nouveau recueil poétique Cronce en corps de Chantal Dupuy-Dunier offre une succession de courts poèmes, alternant longs et brefs vers libres, concrétisation du souffle énonciateur déambulant sur les sentiers des souvenirs de Cronce : petit village de Haute-Loire, lieu privilégié pour la poétesse où son mari et elle ont vécu onze années.
Le village aimé, vénéré, a désormais été abandonné : « Je t’ai quittée, Cronce, sans me retourner », « Sans me retourner, / pour que tu puisses exister encore ». Il a été quitté sans un regard pour qu’il ne se dissipe pas comme Eurydice aux yeux d’Orphée. Avec un accent d’un lyrisme tout personnel, empreint d’une douce nostalgie, la poétesse interpelle ce territoire, l’immortalise dans des souvenirs d’une intense netteté : « Mes yeux ne te reverront jamais, / ma vision intérieure n’en sera que plus fidèle ». Village réel devenu mythique, s’unissant à elle, devenant elle, elle devenant lui : « Ta peau, qui recouvre les os de la vallée, / est devenue mienne ». Hommage à ce charmant village, les poèmes, liés entre eux par l’entrecroisement des fils et des fibres de la vie, du corps et de la nature, remontent aux temps anciens (« Voix anciennes de femmes charriant de lourds seaux / dont l’eau giclait par-dessus bord. L’une d’elle chante en patois ») puis se déroulent doucement jusqu’à l’inéluctable, (« Je communie avec toi au sein de ma mort future. / De mon corps, il ne restera que ton nom / sur une feuille de papier / déchirée en lanières, qu’une main éparpillera »), dans une espèce de chronologie intime.
Une incarnation poétique
Cronce incorporée, Cronce assimilée, Cronce tatouée sur chaque parcelle du corps, gravée dans le coeur et la mémoire. Echange intime entre le corps-paysage et le paysage-corps. Paysage extérieur devenu paysage intérieur aussi vrai que nature, inoubliable, inoublié, donné par éclats végétaux, minéraux, animaux, humains comme les délicats fragments des monotypes de Michèle Dadolle, empreintes inaltérables des lambeaux de ce village, illustrant les poèmes dans un désir de concision pour accéder à l’essentiel, à la quintessence, au sublime, tout en déployant une délicate émotion. Corps morcelé (« ma tête », « ma joue », « mon visage », « ma peau », « mes yeux »…) dispersé, incorporé au village (« Mes pieds sont plantés dans la roche / au plus profond de ta chair »), aux animaux (« Mes canines sont celles du renard »), aux éléments naturels : « Mon front héberge ta montagne ». Village personnifié, humanisé auquel s’adresse le « je » de la poétesse, « Tu continues à écrire sur mon visage », dans un tutoiement exprimant la familiarité, la communion, l’empathie. Village doté d’une âme qui s’associe à elle, qui devient elle, « Souvent, dans le miroir, / c’est toi qui m’apparais / le visage voilé d’un marbre transparent », dans le paradoxal mariage de la dureté du marbre et de la légèreté de la transparence, de la dureté du minéral et de la légèreté de la vie. Fusion particulière et extraordinaire, incarnation poétique novatrice !
Cet échange intime et complice entre la poétesse et son village, ce glissement, cette coulée de l’un à l’autre, entraînent le lecteur dans un univers métaphorique magique, suscitant une réalité poétique inattendue, nouvelle et novatrice.
D’autres ouvrages de Chantal Dupuy-Dunier :
Merci à vous pour cette nouvelle chronique, lecture toujours très approfondie, attentive et sensible !
Mon éditeur « Les Lieux Dits » aussi en est lui aussi touché et vous remercie.
Merci chère Chantal Dupuy-Dunier pour vos mots pleins de sensibilité.