Bergame
robert piccamiglio
Editions du rocher, 2004
(par Annie Forest-Abou Mansour)
La vie est un voyage comme le récit du narrateur. Un fils, dans l’univers clos et rassurant de sa voiture, transporte son père mort vers un ailleurs définitif : Bergame, sa ville natale. Et il parle à cet absent intensément présent. D’innombrables petites phrases nominales, des locutions parfois familières, se succèdent, jaillissant de l’esprit de ce fils nostalgique, spectateur du monde traversé. Les constructions parataxiques concrétisent les images, les émotions, les souvenirs, les lambeaux de ses pensées. Ce sont de brèves notations explicatives, des constats, donnés dans une syntaxe orale, qui fait l’économie des connecteurs logiques, de la négation « ne ». Ils suivent le fil de la pensée et rendent compte de la banalité de la vie. Cette esthétique du quotidien et du banal trahit l’origine modeste du narrateur et de son père : rien d’extraordinaire ne leur est arrivé et ne leur arrivera. Le récit se conjugue au présent et au passé. Le futur est absent. La seule certitude du futur est la mort : « La vie. L’enfance. La jeunesse. La vieillesse. La mort. Les illusions. Le temps nous est généreusement offert d’une main. Repris des deux ». L’homme n’est qu’un figurant dans ce monde : « Penser alors qu’on est heureux d’être au monde. Contents d’y faire de la figuration ».
La seule note vraiment heureuse : la rencontre de Mélinda, une rencontre éphémère, sans suite, durant un arrêt sur l’autoroute. Mélinda fait rêver, elle « a la voix (…) pleine de soleil. Remplie de champs d’oliviers où nichent des milliers de cigales ». Mais cette rencontre n’est qu’une « petite entreprise (de séduction) éclatante autant que dérisoire. Stupide autant qu’inutile ».
Les hommes, « vivants en sursis », ne peuvent « que participer à la grande aventure de l’existence ». « La vie est combustion » dépourvue de sens. « Et nous au milieu, on se consume jour après jour. Saison après saison. Année après année. Voyage après voyage. Surtout ceux qu’on a oubliés de faire. C’est ainsi. On l’accepte. Pas d’autre choix. Il n’y a pas d’équivalent à la vie ».
Avec parfois un soupçon d’humour noir, Bergame est un beau livre triste.
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