Au bonheur des jours
histoires de femmes
Joëlle Miquel
Editions de la Différence (2015)
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
Lire les nouvelles porteuses de vie et de vitalité de Joëlle Miquel, Au bonheur des jours, c’est plonger non seulement dans les instants de bonheur évanescents et magiques qui constituent l’existence, mais aussi apprendre à les voir et à les saisir. Au cœur de toutes ces nouvelles, des femmes ordinaires, issues de différents milieux sociaux, à « la vie sans importance », souvent emportées par le maelstrom du quotidien, assaillies par de multiples tâches et soucis, après avoir été passives, soumises à leur éducation, à leur mari, aux codes sociaux, aux conventions, apprennent à s’emparer des petits moments de bonheur que la vie procure toujours à celles qui sont à l’écoute de ses vibrations.
Les femmes dont Joëlle Miquel brosse des portraits typés et réalistes avec sensibilité, tendresse, humour sont perçues sous l’angle de leur diversité alors que l’homme apparaît souvent – pas toujours, mais c’est rare – comme un « macho aux gestes lourd » dans « Henriette ou l’incroyable histoire de madame Dupon », dans « Aïcha ou la voie lactée », un séducteur dans « Clarisse ou un petit quelque chose ». Souvent ces femmes ne sont que le reflet de ce que les autres leur renvoient. Conditionnées par cette image intériorisée, « « ‘on’ était un être indéfinissable à la puissance extraordinaire qui gouvernait nos vies », par unsurmoi trop puissant, « Marie avait toujours été prisonnière », elles deviennent « invisibles », passent inaperçues, « elle était transparente ». Souvent ellesne sont plus regardées, (« jamais on ne lui avait prêté attention »), ne se regardent pas. Elles se découvrent alors parfois avec surprise vidées de toute séduction, flétries, dans un miroir surgi soudain devant elles : « Tout à l’heure, dans la glace du Franprix, (..) elle s’est rencontrée, le teint gris et les paupières noires, les traits tirés et les yeux cernés, à peine coiffée, (…) elle s’est trouvée laide et triste ». Trop engluées dans leur manque de confiance en elles, elles oublient qu’elles existent, incapables même de surprendre l’attention que l’Autre leur porte : « Ainsi Henriette Dupon avait passé sa vie en aveugle ». La route de leur existence semble tracée inéluctablement.
Pourtant toute vie est imprévisible, l’inattendu peut surgir à la faveur d’un regard masculin un peu plus appuyé : « Il la trouvait belle, mieux : gracieuse », d’une éclatante journée d’été… A ce moment-là, ces femmes se réconcilient avec elles-mêmes, apprennent à s’aimer, (avant « elle ne s’aimait pas »), s’acheminent alors vers l’autonomie, osent se libérer d’elles-mêmes, du regard de l’Autre, des pressions sociales, religieuses. Aïcha et Jouriya « enlèv(ent) leurs voiles », puis plongent « Nues et superbes » dans la douce eau ardéchoise, devenant œuvre d’art, « sous la lumière pâle de la lune, leurs corps étroitement serrés ne formèrent plus qu’une sculpture de chair mouvante », au rythme d’un « ballet divin ». Toutes ces femmes se permettent de se mesurer à la réalité, de s’imposer comme Margot qui sort de l’ombre et de l’injustice avec son fils tétraplégique dérangeant ainsi l’ordre tranquille de la plage.
Cet inattendu, ces instants magiques sont inoubliables. Comme le symbolise le pseudonyme choisi par madame Dupon, « Hortense de Nonretour », on ne revient pas sur ces moments de bonheur. Ils ont existé, même si parfois leur souvenir s’éloigne comme dans « Marie ou chambre d’hôtel sans bagage ». Proches ou lointains, ils ont procuré de la légèreté, de la douceur, de la joie à l’existence et surtout des prises de conscience diverses. Ayant accédé à la conscientisation, les protagonistes d’Au bonheur des jours se responsabilisent dans tous les domaines, même dans ceux de l’éducation de leur fils : « Il faut arrêter ça !… Ce sont les mères qui font les tyrans. Il faut que chaque femme cesse d’élever les hommes ainsi ! ».
Les nouvelles à la chute souvent lumineuse de Joëlle Miquel sont des perles littéraires dotées d’une écriture poétique sertie de synesthésies (« Il y avait des jardinières d’orangers et des gerbes de lys. Une douce odeur de fleurs, de pain chaud, de café flottait »), de comparaisons, de métaphores, rythmée par une musique légère donnée par des refrains, « Et c’était inexplicable… tout ce désir » (…),« Et c’était inexplicable… tout ce désir », des anaphores : « C’était Elle » / C’était Lui », une mise en page qui imprime une cadence à l’énoncé. Ces textes s’intéressent à la vie, plutôt qu’à une vie. Ils proposent sans prétention des leçons de bonheur valables pour tout un chacun. De chaque cas individuel, la narratrice glisse à des situations existentielles. Elle prouve combien il est simple d’être heureux : « Se faire simple et claire pour prendre le soleil du monde, voir la vie en bleu, avant de tomber toute droite, abreuver la terre pour ceux qui suivent. Juste une goutte d’eau dans la lumière de la vie, voilà ce que chaque homme se devait d’être pour illuminer le temps ». Au bonheur des jours, avec ces bribes de vie, ces minuscules événements donnant libre cours à des réconciliations intimes, apporte une étincelle de joie au lecteur non seulement par son message chaleureux et son écriture esthétique mais aussi parce que ce recueil a été rédigé avec plaisir et générosité. Comme le souligne la narratrice : « le bonheur grandit dans le partage. »
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